José Gulino
© Tim Douet

José Gulino, Grand Maître du Grand Orient : “La finance enlève un degré de liberté aux citoyens”

Lentement, le Grand Orient de France organise sa mue. Le culte du secret n’est plus sacralisé et cette obédience s’implique ponctuellement dans la vie publique. José Gulino, Grand Maître de cet ordre maçonnique, livre à Lyon Capitale les principaux axes de réflexion de sa loge : défense de la laïcité et lutte contre la toute-puissance de la finance.

José Gulino, grand maître du Grand Orient de France

© Tim Douet

Lyon Capitale : Vous vous définissez comme des “vigiles de la République”. En quoi consiste votre combat en 2013 ?

José Gulino : Nous devons être vigilants sur les valeurs de la République. Nous sentons une montée du communautarisme sous différentes formes : religieux, ethnique, régional. La République doit offrir des niveaux sociaux ou d’instruction identiques pour tous les citoyens. En ce sens, le communautarisme met à mal l’État. Sur des sujets de société comme le mariage pour tous, l’enseignement, le port du voile, nous assistons à des réactions guidées par des religions ou des cultures locales. La France n’est pas monoculturelle, mais elle ne doit pas être une addition de provinces ou de communautés. L’unité de la République doit être défendue.

Sur quels éléments concrets vous appuyez-vous pour dénoncer une montée du communautarisme ?

Nous avons beaucoup parlé des dix millions d’euros investis par le Qatar dans nos banlieues. Je m’étonne surtout de voir que personne ne parle des milliards d’euros que dépensent chaque année les conseils généraux pour aider ces quartiers. Les flux financiers de l’État à destination des banlieues ont été banalisés. Le lien entre la République et ses quartiers doit être repensé. Pour des raisons économiques, nous avons sacrifié le milieu associatif et par conséquent nous avons donné les quartiers aux religions.

Comment expliquez-vous que la défense de la laïcité ait pu devenir un argument pour le Front national ? Est-ce d’abord un abandon des autres partis ?

La laïcité a été banalisée. Elle était tellement devenue une évidence que nos élus ont pu se dire qu’elle n’avait plus besoin d’être défendue. Nicolas Sarkozy l’a affublée de beaucoup d’adjectifs qui l’ont remise en cause. Marine Le Pen prône le racisme et l’antisémitisme. Ses valeurs ne sont pas celles de la République. Le FN a volé la laïcité, mais ils ne défendent qu’une laïcité catholique. Leurs propositions ne tiennent pas, ne serait-ce qu’au niveau sémantique. Marine Le Pen s’en sert comme d’une arme contre l’islam. La laïcité oblige à considérer que la religion relève de la sphère privée. Elle dévoie ce mot. Le culte musulman n’est pas organisé pour porter la parole de l’islam, qui est une religion de liberté et de tolérance. Les relations entre les instances musulmanes et certains pays arabes brouillent leur message. Le culte musulman est trop éclaté et ils ont laissé de l’espace aux salafistes et aux extrémistes. Nous en oublions que 90% des musulmans français pratiquent un islam modéré. L’Église catholique est, elle, bien organisée. Leur opposition au mariage pour tous en atteste.

Au Grand Orient, vous prônez une nouvelle forme de laïcité, qui concernerait la finance. Qu’englobe votre concept de laïcité financière ?

Je m’inquiète d’entendre nos dirigeants expliquer qu’ils ne peuvent pas faire telle ou telle réforme car les marchés s’y opposeraient. Nous avons su faire la séparation de l’Église et de l’État, que beaucoup qualifiaient à l’époque d’infaisable. Aujourd’hui, il faut se pencher sur les relations entre la finance et la République. Si Renault ou Peugeot périclite, ce sera un drame social et humain, mais la France ne déposera pas le bilan. En revanche, si la BNP ou la Société Générale mettait la clé sous la porte, la France serait entraînée dans sa chute. Notre pays est trop lié à des banques dont elle ne maîtrise pas le sort. Nous n’avons aucun levier sur la finance. Tous les matins, les banquiers se réunissent pour fixer les taux d’intérêt qu’ils vont appliquer aux particuliers et aux États. Nous avons découvert qu’ils s’étaient entendus pour manipuler les taux et donc gagner de l’argent sur le dos des pays. Ce genre de décision doit échapper au privé. Le système est tellement compliqué qu’il échappe au citoyen. La moitié des ingénieurs de Polytechnique intègre les banques pour mettre en place des formules mathématiques alors qu’ils devraient construire des ponts et des routes. Nous devons sortir de ce système et ainsi regagner un degré de liberté. Notre but au Grand Orient est de rendre les gens libres. C’est pour cette raison que nous militons pour une laïcité financière.

Sur le mariage pour tous, les religions se sont beaucoup fait entendre. Sortent-elles de leur rôle ?

Les religions ont le droit de ne pas ordonner de mariage entre deux personnes de même sexe, mais le projet de loi du Gouvernement concerne le mariage républicain. Je ne peux pas accepter que la France, pays des Droits de l’homme, empêche deux hommes qui s’aiment de se marier. Cela reviendrait à leur enlever un degré de liberté, à en faire des sous-hommes. Les religions considèrent l’homosexualité comme une maladie. Ces tabous datent du Moyen Âge. Les gens sont libres de choisir leur sexualité, et leur préférence ne doit pas leur enlever des libertés. J’ai été choqué de voir que, sur France2, une chaîne financée par l’argent public, l’Église catholique se soit permis de dire tout le mal qu’elle pense de ce projet de loi et d’appeler à manifester. La religion relève de la sphère privée. L’Église peut se transformer en parti politique si elle le veut. Le clergé n’est pas dans son rôle quand il porte un regard sur des actes civils. L’Église cherche à influer sur le fonctionnement de l’État français. Ils mélangent volontairement les questions de famille et de mariage homosexuel.

Le débat autour du mariage pour tous fait naître des positions clivantes entre la gauche et la droite. La ligne de fracture est-elle passée du modèle économique aux questions de société ?

Nous sommes dans un moment où un système financier, de valeurs, d’enseignement touche à sa fin. Il faut construire un autre modèle, qui respectera les valeurs de la République. À la Révolution, des cahiers de doléances avaient vu le jour. Dans nos loges, je mets en place des cahiers d’espérance, qui vont donner lieu à une réflexion avec le monde maçonnique sur le devenir de la France dans vingt ou trente ans. Nous inviterons aussi des représentants syndicaux, des chefs d’entreprise ou encore des politiques à nous aider. Nous préférons anticiper plutôt que subir. La crise crée un espace propice aux peurs. Le principal problème aujourd’hui réside dans la perte d’espérance en l’avenir. L’État-providence a montré ses limites.

Le Grand Orient est une obédience cataloguée à gauche. Vous sentez-vous plus écoutés depuis l’élection de François Hollande ?

Nos avis sont peut-être plus écoutés. Au Grand Orient, nous comptons des ministres de tous bords. Mais nous ne sommes pas dans un rôle qui nous amènerait à leur dire ce qu’ils doivent faire. Nous leur présentons nos réflexions sur des questions de société, de citoyenneté ou d’Europe, qu’ils sont libres de reprendre ou non. Lors de la campagne présidentielle, nous avions invité tous les candidats à l’exception de Marine Le Pen. Nous menons un combat pour la constitutionnalisation de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. François Hollande nous avait fait cette promesse, qu’il a ensuite réitérée lors de son meeting du Bourget. Il a pris des idées qu’il avait entendues chez nous. Notre rôle va être de lui rappeler ses promesses.

Entretien avec José Gulino au temple maçonnique de la rue Garibaldi

© Tim Douet

Le secret de l’appartenance à la franc-maçonnerie se fissure de plus en plus. Le côté mystérieux de la franc-maçonnerie nourrit les fantasmes, ne serait-il pas temps pour votre mouvement de vous afficher publiquement ?

Le mystère nous protège. Durant la Seconde Guerre mondiale, nous avons perdu beaucoup de nos frères. Dévoiler son appartenance est une liberté individuelle. En Tunisie, aujourd’hui, être franc-maçon est un engagement difficile. Révéler son appartenance est un choix personnel. La maçonnerie est entraînée dans notre société médiatisée vers plus de publicité. Le Grand Orient n’ouvrira jamais, comme le pape, un compte Twitter. Mais chaque loge est libre d’organiser des manifestations publiques. Lors de la Journée de la laïcité, nous avons organisé deux cents manifestations à travers la France.

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À lire dans Lyon Capitale-le mensuel de mars :

• Franc-maçonnerie : la loge lyonnaise qui veut exclure Gérard Collomb

• Grand Orient, une influence très politique à Lyon

Lyon Capitale n°720 est en vente en kiosques jusqu’au 28 mars, et dans notre boutique en ligne.

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