Accord Interpol-Big Pharma: une menace pour les pays du Sud?

Depuis deux ans, l’organisation mondiale de police ouvre de plus en plus son financement au secteur privé. De généreux “dons” et des conflits d’intérêt non moins conséquents. Après le lobby du tabac, 3e volet de l’enquête de Lyon Capitale.

Genève, le 7 mai 2013, au siège de l’OMS. Près de la cafétéria, Germán Velásquez, costume gris et barbichette, serre des mains, se fait tapoter l’épaule. Ici, tout le monde connaît le Colombien. L’“empêcheur de breveter en rond”, comme l’a surnommé le quotidien Libération, a été jusqu’en 2010 responsable du département Santé publique, Innovation et Propriété intellectuelle à l’OMS. Aujourd’hui, il est conseiller pour l’organisation internationale South Centre, qui défend les intérêts des pays en développement. Devant un café, il commente le partenariat annoncé en mars 2013 entre l’industrie pharmaceutique et Interpol : 4,5 millions d’euros sur trois ans, pour lutter contre le trafic de faux médicaments.

Contrefaçons ou génériques ?

“Interpol applique la justice en faveur des uns, contre les autres”, soupire Germán Velásquez. En s’associant avec les 29 plus grandes industries mondiales, détenteurs de brevets et défenseur des intérêts des pays développés, Interpol prend parti, même involontairement, contre les pays du Sud et les sociétés fabriquant des génériques à bas coût. “On est en train de créer une ambiguïté entre la falsification d’un brevet d’un côté et les copies de mauvaise qualité de l’autre”, déplore Germán Velásquez.

Dans le domaine du médicament, le problème reste la définition d’une contrefaçon. Aucun consensus mondial n’a été trouvé à ce sujet, et les lois diffèrent d’un pays à l’autre. “Le bon côté des choses, c’est qu’Interpol met la main sur des filières criminelles de faux médicaments toxiques, dangereux pour la santé publique. Mais, si les mailles du filet sont trop serrées, ça va prendre dans le paquet tous les génériques. Définir ce qui est une contrefaçon relève d’un tribunal. Les douaniers ne sont pas formés pour ça”, explique Patrick Durisch, responsable santé de la Déclaration de Berne, association suisse qui lutte contre les lois sur les brevets. “Ce n’est pas une question de brevet. On a clairement voulu faire la distinction entre la question du faux et la propriété intellectuelle”, se défend Thomas Cueni, le secrétaire général d’Interpharma, acteur clef de l’accord avec Interpol, qui représente les intérêts de 13 laboratoires en Europe.

Pression sur les douanes

Distinguer entre le faux (imitation d’une marque, de l’emballage) et le défaut de brevet (imitation du contenu) n’est pourtant pas toujours évident. En décembre 2008, un médicament hypotenseur en provenance d’Inde et à destination du Brésil a ainsi été bloqué trente-six jours dans le port de Rotterdam. Le générique, de bonne qualité, était légal en Inde et au Brésil, mais pas aux Pays-Bas. Selon le quotidien hollandais De Volkskrant, la société américaine Merck aurait fait pression sur les douanes, afin de bloquer la cargaison. Un cas similaire s’est produit à Amsterdam en 2009 avec des vaccins contre le sida à destination du Nigeria.

“Entre Interpol et nous, il y aura des échanges d’informations, de la formation, des conférences internationales pour sensibiliser les gens”, confie Thomas Cueni, classé parmi les 300 personnalités les plus influentes de Suisse par le journal économique Bilan. “L’intérêt de l’industrie pharmaceutique, c’est de donner plus de pouvoir aux douaniers. De dire : “Si vous avez le moindre doute, saisissez”, alerte Patrick Durisch. Chaque jour de gagné se chiffre en millions de dollars pour l’industrie pharmaceutique.”

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Cette enquête est parue initialement dans Lyon Capitale-le mensuel n°723. Nous la publions ici en 5 volets, et quelques compléments.

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