Prostitution : faut-il prendre en exemple le modèle suédois ?

INTERVIEW - Alors que Najat Vallaud-Belkacem se rend en Suède ces jeudi et vendredi consulter la ministre de la Justice et le préfet de Stockholm sur la pénalisation des clients de prostituées, Laura Garby de l'association de santé communautaire Cabiria dénonce un système suédois "répressif comme les autres" qui "sous prétexte de protéger les femmes", va mettre en danger les prostituées.

Lyon capitale : Dix ans après l'adoption de la loi pénalisant les acheteurs de services sexuels en Suède, la ministre Najat Vallaud-Belkacem réfléchit à reproduire cette loi en France. En quoi serait-ce une erreur selon vous ?

Laura Garby : Cette loi n'existe pas seule. Elle fait partie d'un arsenal juridique visant à réprimer la prostitution. En France comme en Suède, les proxénètes sont poursuivis ainsi que n'importe quelle personne venant en aide aux prostituées. Quelqu'un qui loue un appartement à une prostituée pour qu’elle y travaille, quelqu'un qui la conduit en voiture sur son lieu de travail, etc. Ce que nous reprochons à ces lois est d'isoler au maximum les personnes prostituées, de limiter leurs droits, leur liberté. Alors qu’elles sont décrites comme des victimes d’un côté, elles sont traitées comme des délinquantes de l'autre.

Que reprochez-vous exactement à l'idée de pénaliser les clients comme en Suède ?

Sous couvert de pénaliser les clients, on nous dit que les prostituées sont les victimes et qu'on veut les protéger. Mais en pénalisant les clients, on interdit aussi aux prostituées de pratiquer leur métier on les pénalise. La loi suédoise est extrêmement dangereuse. Plusieurs études montrent ses implications en termes de santé et de droits pour les prostituées. Si l'on rajoute de la répression envers leurs activités, on les éloigne un peu plus des institutions de santé et de justice.

Et puis, si les clients ont peur d'être arrêtés par la police, cela réduit aussi le temps de négociation des prostituées avec leurs clients. Au moment de monter dans la voiture d'un client par exemple, elles n'ont plus le temps de procéder aux vérifications d'usage concernant la sécurité de leur environnement.

Selon les autorités, la prostitution de rue a diminué de moitié en Suède depuis l'interdiction de l'achat de service sexuel. Le pays est présenté depuis comme leader dans la lutte contre la prostitution, qu'en pensez-vous ?

Selon les chercheurs Dodillet et Ostergren*, le modèle suédois s'est certes beaucoup exporté à l'étranger mais il n'a rien d'exceptionnel en termes idéologiques. En matière de prostitution, il s'agit d'un modèle répressif comme les autres. Sa seule particularité est d'avoir été introduit par des responsables politiques féministes. On voudrait nous faire croire que cela lui confère une caution morale...

Najat Valkaud-Belkacem est-elle une féministe selon-vous ?

Non car d'un point de vue féministe, il est tout aussi oppressant de vouloir obliger une femme à se prostituer que de vouloir obliger une femme à ne pas se prostituer. Si on est pour plus d'autonomie des prostituées, au contraire, on ne peut accepter ni l'une ni l'autre de ces propositions.

Avant tout nouveau projet de loi, vous appelez donc la ministre à consulter les prostituées.

Oui car à ma connaissance, l'Assemblée nationale n’a consulté qu’une très faible proportion de prostituées pour réaliser son rapport parlementaire, avant de voter sa résolution abolitionniste. Par ailleurs lorsque le Syndicat du travail sexuel (STRASS) a été reçu par le ministère, il est parti en claquant la porte. Voyant que celui-ci proposait une "conférence de consensus" sur la base du postulat abolitionniste, le STRASS ne pouvait pas être d'accord. Il serait bien d'organiser une véritable consultation des personnes prostituées sans postulat a priori car lorsque le cadre est déterminé et figé par avance, on ne peut pas parler de véritable concertation.

En Suède, dix ans après l'adoption de la loi, les habitants sont deux fois plus nombreux à se prononcer contre l'achat d'acte sexuel selon les chiffres donnés par les autorités. Qu'en pensez-vous ?

Ils sont aussi plus nombreux à se prononcer contre la vente d'actes sexuels, c'est à dire contre la prostitution en général. Ils la voient davantage comme une nuisance et cela augmente la stigmatisation des personnes prostituées et n’encourage pas les solidarités. Au contraire, il y a un risque d’augmenter le nombre d’agressions envers elles.

Les autorités suédoises s'appuient aussi sur la notion de traite humaine pour réprimer la prostitution, qu'en pensez-vous ?

En Suède depuis 1999, on pénalise les clients de prostituées dans le but de lutter contre la traite humaine en effet. Une notion assez floue qui permet aux autorités de renvoyer les personnes dans leur pays sous prétexte qu'elles se prostituent sur leur sol. Dès lors, on voit bien que l'on traite les prostituées de délinquantes en Suède et non comme des victimes. On justifie leur expulsion du simple fait de leur activité, c'est une discrimination. Sous couvert d'arguments égalitaristes entre les hommes et les femmes, sous prétexte de protéger les femmes, on leur interdit de prendre des initiatives sexuelles, économiques ou de migrations.

Les parlementaires français envisagent d'abolir la loi sur le racolage passif et actif adoptée sous Nicolas Sarkozy, où en est-on ?

Tout le monde est d'accord pour dire que cette loi n'est pas bonne, mais il semblerait que l'initiative des parlementaires soit repoussée dans l'attente de la nouvelle loi sur la pénalisation des clients. C'est scandaleux de prendre ainsi en otage les personnes, victimes de la précédente loi, dans l'attente des décisions du gouvernement. Le collectif Droits et Prostitutions auquel Cabiria appartient s'apprête à envoyer une lettre ouverte aux parlementaires à ce propos, leur demandant de ne pas attendre plus longtemps pour supprimer cette loi.

(*) "La loi suédoise contre l'achat d'acte sexuel : succès affirmé et effets documentés". De Susanne Dodillet et Petra Östergren. Mars 2011.

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