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L’affaire Cahuzac, de Capitaine Pédalo aux amis de la Marine

Dans cette affaire d’État où décidément beaucoup de monde ment, soit par spirale, soit par omission, le président de la République a tenté de reprendre l’initiative et s’est exprimé dans une allocution télévisée diffusée après le Conseil des ministres, ce mercredi 3 avril. Jérôme Cahuzac "a trompé les plus hautes autorités du pays : le chef de l'État, le Gouvernement, le Parlement et à travers lui tous les Français", a déclaré François Hollande, sur un ton qui se voulait grave et solennel. "C'est une faute impardonnable, un outrage fait à la République d'autant que les faits reprochés sont eux-mêmes intolérables", a poursuivi le président, qui a assuré que "toute la lumière sera faite et [que] la justice poursuivra son travail jusqu'au bout et en toute indépendance". Puis il a annoncé trois mesures. Ou plutôt trois mesurettes. Jusqu’à ce qu’apparaisse, contre toute attente, un proche du Front national.

1/ Une réforme sur l'indépendance de la justice devra ainsi être votée "dès cet été".

Outre le fait que les socialistes n’ont cessé de répéter, ces derniers jours, la main sur le cœur, que la justice, depuis leur retour aux affaires, était à nouveau totalement indépendante, il convient de rappeler que la réforme évoquée par François Hollande était déjà prévue et qu’un texte sur les attributions du garde des sceaux et des parquets en matière de politique pénale et d’action publique avait déjà été présenté en conseil des ministres... le 19 septembre dernier ! "Afin de mettre fin à toute suspicion d'intervention inappropriée du ministre de la justice, écrivait alors Christiane Taubira, je n'ai pas adressé d'instructions individuelles aux magistrats du parquet depuis ma prise de fonctions." La loi Perben de 2004 autorisait en effet le garde des sceaux à donner "des instructions écrites et versées au dossier" pour engager les poursuites "opportunes". Il n’y aura donc plus d’instructions individuelles aux parquets, dont acte. Par ailleurs, les procureurs généraux, jusqu'ici nommés en Conseil des ministres, sont désormais soumis à l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, et ce depuis une circulaire du 31 juillet 2012.

Ce sont de petits progrès tout symboliques, et ce n’est certes faire injure à personne d’affirmer que les désirs de la chancellerie peuvent se devancer et qu’il n’est nul besoin d'instructions pour cela. Le problème ne se situe pas tant en amont qu’en aval et il concerne la prescription des faits, nous y reviendrons. Le texte en question prévoit également qu'outre les rapports particuliers qu'ils établissent, soit de leur propre initiative, soit sur demande du ministre, les procureurs généraux adressent au garde des sceaux un rapport annuel de politique pénale sur l'application des lois et la mise en œuvre des instructions générales ainsi qu'un rapport sur l'activité et la gestion des parquets de leur ressort. "Avec le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature qui offrira aux magistrats du parquet des garanties similaires à celles des magistrats du siège, ce texte traduit la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et l'institution judiciaire et participe au rétablissement de la confiance des citoyens envers la Justice", peut-on lire sur le portail un rien triomphal du ministère de la Justice (ici).

2/ Un autre projet de loi concernant les conflits d'intérêts et visant à la "publication et au contrôle de tous les patrimoines" des ministres et des parlementaires devra également être déposé "dans les prochaines semaines", a indiqué le chef de l’État.

Là encore, cela existe déjà, depuis… 1988 ! En effet, depuis vint-cinq ans, chaque parlementaire est tenu de déposer auprès de la Commission pour la transparence financière de la vie politique (ici), dans les deux mois qui suivent son entrée en fonction, une déclaration certifiée sur l’honneur exacte et sincère de sa situation patrimoniale concernant la totalité de ses biens propres ainsi que, éventuellement, ceux de la communauté ou les biens réputés indivis. Ces biens sont évalués à la date de l’élection. Une nouvelle déclaration de situation patrimoniale doit être déposée auprès de la même instance deux mois au plus tôt et un mois au plus tard avant l’expiration du mandat. Ces déclarations ne sont pas rendues publiques. Au-delà des seuls parlementaires, ladite commission est chargée du contrôle des déclarations de patrimoine de plus de 6 000 personnalités (ministres, députés, sénateurs, députés européens, principaux élus locaux et dirigeants d’organismes publics), afin de vérifier que les personnes assujetties n'ont pas bénéficié d'un enrichissement anormal du fait de leurs fonctions. Dans le cas où elle constate des évolutions de patrimoine pour lesquelles elle ne dispose pas d'explications satisfaisantes, elle transmet le dossier au parquet après avoir mis l'intéressé en demeure de présenter ses observations.

3/ Enfin, le président de la République a annoncé que "les élus condamnés pénalement pour fraude ou corruption seront interdits de tout mandat public".

C’est bien le moins que l’on puisse faire, dans une République se voulant exemplaire, après s’être proclamée irréprochable. C’était d’ailleurs l'engagement numéro 49 du candidat François Hollande ("Je porterai la durée d'inéligibilité des élus condamnés pour faits de corruption à dix ans"). Pour tenter de mettre fin à tous les conflits d'intérêts concernant "aussi bien des ministres que des fonctionnaires ou parlementaires", Lionel Jospin avait recommandé, dans le rapport qu'il avait remis au président Hollande en novembre dernier, la mise en place d’un système d'alerte éthique sur le modèle des lanceurs d’alerte (lire à ce sujet notre enquête dans le dernier numéro de Lyon Capitale le mensuel) et de rendre obligatoire une déclaration d'intérêts et d'activités pour les membres du gouvernement, les parlementaires, les collaborateurs du président de la République et les membres des cabinets ministériels.

Tout cela est bel et bon, utile sans aucun doute pour répondre, dans l’urgence, à la tentation populiste du "tous pourris", mais ce bricolage hâtif ne sera certainement pas de nature à se prémunir efficacement contre les comportements déviants et notamment contre le cancer du mensonge. Ce qu’il faudrait vraiment, c’est que les magistrats puissent enquêter, dans ces affaires de financement politique extrêmement longues et complexes, aux ramifications internationales, sans risque de voir les faits prescrits. Et c’est bien là tout le problème ! L'article 11.5 du Code électoral prévoit une peine d'un an de prison et/ou une amende de 2 250 à 3 550 euros pour toute transaction illégale. Par transaction illégale, il faut entendre notamment tout don (reçu ou donné) supérieur au plafond de 7 500 euros (ou 4 600 en période de campagne), don de personne morale autre que parti politique ou un don excédent 150 euros remis en liquide. Et le délai de prescription pour financement illégal n’excède pas… trois ans.

Trois petites années en tout et pour tout ! Autant dire que jamais les magistrats ne parviendront à endiguer ce mal qui dévore notre démocratie, tant que cette prescription ne sera pas supprimée ou, à tout le moins, ramenée à un délai raisonnable. Vu la complexité des circuits financiers et la difficulté à mettre en œuvre une entraide internationale efficace, dix ans semblent une durée toute indiquée. Il n’est pas inutile de rappeler qu’en termes de dopage, on peut déchoir de tous ses titres un sportif tricheur, jusqu’à remonter à 1999 (affaire Lance Armstrong, 2012). Car la question que tout le monde se pose, nous l’avions déjà écrit dans un éditorial le 22 mars 2013 (ici), est la suivante : la puissante industrie pharmaceutique a-t-elle continué à financer la vie politique française, en dépit des lois votées sur le financement des partis à quatre reprises, la plupart du temps juste après de retentissantes affaires, en 1988, 1990, 1993 et 1995 ? Cette question est légitime, surtout lorsque de nombreuses vies ont été mises en jeu par la mise sur le marché de médicaments tels que le Mediator, du laboratoire Servier, laboratoire dont on pensait, jusqu’à l’affaire Cahuzac, qu’il ne s’intéressait qu’au financement des élus de droite.

Car ce n’est pas le "remords" qui a conduit M. Cahuzac à avouer, mais bien les perquisitions chez Reyl et UBS, prouvant l’existence du compte de l’ancien ministre du Budget, comme l’a confirmé le procureur suisse Jean-Bernard Schmid, et comme nous le suggérions nous-mêmes le 27 mars (ici). La demande d’enquête ayant été adressée le 12 mars, tout est allé très vite, explique le procureur Schmid, "dans la mesure où la législation suisse en matière d’entraide impose d’informer la personne visée, l’avocat de Monsieur Cahuzac avait accès au dossier. Il a donc été informé de ce que nous avons trouvé, et en a de toute évidence tiré les conséquences. Nous n’avons cependant transmis aucune information à ce jour aux autorités judiciaires françaises, et nous n’avons pas non plus ouvert de procédure pénale en Suisse."

"J'entends beaucoup la droite interpeller le président de la République et le Premier ministre sur le thème 'comment ? vous ne saviez pas ?' Mais on peut poser la même question à Nicolas Sarkozy qui a laissé Jérôme Cahuzac devenir président de la commission des Finances", a déclaré aujourd’hui le député écologiste Noël Mamère dans les couloirs de l'Assemblée nationale. "Je doute fort que Nicolas Sarkozy ignorait le passé de Cahuzac et les conflits d'intérêts dont il était l'objet", a-t-il ajouté. François Hollande et Jean-Marc Ayrault n'étaient "pas au courant, bien entendu", de l'existence du compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, avait déclaré plus tôt la porte-parole du Gouvernement, sur Europe 1 (ici). "Nul n'est à l'abri d'avoir un menteur dans sa propre famille", a-t-elle même insisté, avec sa maladresse habituelle, au sujet de l'ex-ministre du Budget.

Certes. Mais comme l’écrivait Renaud, "on choisit ses amis, mais rarement sa famille" et cela fait toute la différence, en République. Pour lutter contre les financements occultes et les conflits d’intérêts, toutes les procédures d’alertes du monde ne resteront que des gadgets, de la poudre de perlimpinpin pour militants crédules, si la prescription de trois ans n’est pas parallèlement remise en cause. Car, à la différence de Jean-Michel Aphatie et de sa "conception du journalisme", même en faisant des efforts, on ne peut s’interdire d’imaginer que le compte helvéto-singapourien de Jérôme Cahuzac n’est qu’un sous-compte parmi d’autres, qui seraient aussi garnis qu’un trésor de guerre.

Encore un délire de journaliste ? Voire. Il ne manquerait plus que le Front national surgisse, et le tableau serait complet. Or, en 1992, un certain Philippe Péninque aurait ouvert à la banque UBS un compte dont l'ayant-droit économique n’était autre que… Jérôme Cahuzac. Ce n'est qu'en 1993 que ce compte a été récupéré en nom propre par l'ancien ministre, via la société financière Reyl, basée à Genève, qui ne possédait alors pas de licence bancaire (ici). Contacté par des journalistes du Monde, M. Péninque, a répondu qu'il était possible qu'il ait ouvert le compte de M. Cahuzac dans le cadre de son activité professionnelle d'alors. Il affirme qu'il était avocat spécialiste en "relations financières avec l'étranger". "Si le juge me convoque et qu'il me montre des documents, peut-être que je pourrais confirmer", a-t-il dit. Cet ex-membre du GUD, qui avait réalisé l'audit du Front national en 2007, affirme avoir informé Marine Le Pen de cette situation : "Je lui ai dit que j'étais ami avec Cahuzac et peut-être que dans le cadre de mon activité professionnelle, j'avais ouvert ce compte."

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