Gérard Lhéritier, itinéraire d’un aigrefin

Il y eut l’affaire Numéro 23 : une vraie-fausse chaîne de TNT dont la revente devait générer une vraie plus-value, avant que le gendarme de l’audiovisuel n’y mette un coup d’arrêt, sous l’impulsion d’Olivier Schrameck, et n’abroge l’autorisation du canal pour “abus de droit entaché de fraude”. Place désormais à Aristophil, une escroquerie présumée qui serait dix fois plus importante. Il n’est plus question ici de 88,5 millions mais bien de 850 millions. Explications.

Gérard Lhéritier, le 21 janvier 2014 au Musée des Lettres et Manuscrits

©MARTIN BUREAU / AFP
Gérard Lhéritier, le 21 janvier 2014 au Musée des Lettres et Manuscrits

L’information fut révélée à l’époque par nos confrères d’Europe 1 : le vendredi 13 mars 2012, le plus gros jackpot jamais empoché en France (169 millions d’euros) l'avait été par un homme d’affaires (déjà millionnaire) spécialisé dans la revente de manuscrits anciens.

Quel heureux hasard ! Il s’agissait du bien nommé Gérard Lhéritier, auprès duquel de nombreux hommes politiques fous de littérature (de Christian Estrosi à Rachida Dati, en passant par Dominique de Villepin ou Nicolas Sarkozy) se pressaient dans de prestigieuses cérémonies, partageaient sa table au restaurant ou encore visitaient avec force publicité son musée germanopratin.

Gérard Lhéritier avait eu l’idée ingénieuse, sinon lumineuse, d’honorer le petit café dans lequel il avait acheté son petit ticket en livrant un petit témoignage “anonyme” à Nice Matin. Il confiait alors au journal régional être âgé de 65 ans, habiter Nice et ne pas avoir de problèmes d’argent grâce à sa grande réussite professionnelle “dans le domaine de la culture”. Brisant ce suspense insoutenable, Charlie Hebdo révéla le nom de l’heureux gagnant. C’était évidemment le but de la manœuvre de Lhéritier.

Son système, Aristophil, lancé en 1990, était astucieux sans pour autant être inédit : chaque petit épargnant achetait des parts dans une “indivision”, baptisée Coraly's, comprenant des dizaines de manuscrits d'auteurs divers, conservés dans les coffres de la société. Après une période de cinq ans, le client pouvait demander à récupérer sa mise, assortie d'intérêts oscillant entre 5 et quasiment 9 % par an, comme l'indiquait une brochure retenue par la justice contre Gérard Lhéritier, champion incontesté du lobbying, auprès duquel Pascal Houzelot passerait presque pour un débutant.

En réalité, comme l'avait laissé entendre une enquête de L'Express en mai 2013, le système n’était qu’une vulgaire pyramide de Ponzi : les derniers entrants finançaient le remboursement des sortants, et cætera. Le 18 novembre 2014, la brigade financière lancera une opération et saisira pour 105 millions d'avoirs bancaires et pour 13 millions de biens immobiliers.

Placé en liquidation judiciaire, Aristophil laisse 18 000 épargnants désemparés. Un krach à 850 millions d'euros. Gérard Lhéritier a d'ailleurs été mis en examen pour escroquerie en bande organisée au mois de mars.

©Marc Chaumeil / Divergence

L’audition de PPDA

Le journaliste Patrick Poivre d'Arvor a été auditionné sous le régime de la garde à vue ce mercredi à Paris dans le cadre de cette affaire d’escroquerie présumée ; il est ressorti libre et sans mise en examen. PPDA, qui a souvent vanté publiquement les mérites de cette société investissant “dans le patrimoine culturel”, intéresse en effet les enquêteurs depuis que ces derniers ont découvert l'existence d'un prêt de 400 000 euros consenti au célèbre journaliste par Aristophil, prêt qui aurait tout bonnement disparu des comptes de la société, selon une source proche de l’enquête.

Dans ce système à la Madoff, la cote des manuscrits était par ailleurs totalement délirante. Une lettre de Van Gogh, acquise 250 000 euros en 2007 chez Sotheby's, était proposée quelques mois plus tard aux clients d'Aristophil à… 867 000 euros. Un manuscrit dans lequel Einstein énonçait sa théorie de la relativité passait lui de 559 000 à... 28,5 millions de dollars ! Un peu comme Pascal Houzelot, l’“homme de culture” trans-parti, fait chevalier des Arts et des Lettres par Fleur Pellerin et futur ex-patron de Numéro 23, qui, après avoir investi 11 000 euros dans sa pseudo-chaîne de “toutes les diversités”, l’avait immédiatement valorisée dans sa holding personnelle en octobre 2012 (deux mois avant son lancement officiel !) à 28 millions d’euros, par la grâce des primes d’émission. Magique.

En 2004, Gérard Lhéritier crée le Musée des lettres et manuscrits et, l’année suivante, Aristophil ouvre une filiale en Belgique puis trois autres en Suisse, en Autriche et à Hong-Kong (en 2011), sans doute en raison de la passion également dévorante des résidents de ces pays pour les belles lettres, plus que pour les chiffres ronds. Il rachète par ailleurs le trimestriel Plume, “consacré au patrimoine de l’écrit”. Dans son musée, sis dans un hôtel particulier acquis 34 millions d'euros, en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés (au n°222), tout le gotha politique français se presse et se bouscule.

Sarkozy, l’amoureux de Céline, Cohen et Rimbaud

Nicolas Sarkozy et Gérard Lhéritier, le 21 janvier 2014, au Musée des Lettres et Manuscrits © Marc Chaumeil / Divergence

© Marc Chaumeil / Divergence
N. Sarkozy et G. Lhéritier, le 21/01/14 au Musée des lettres et manuscrits.

“En début d’année, peut-on lire dans Plume n°68 (avril 2014), Nicolas Sarkozy effectuait une visite au Musée des Lettres et Manuscrits, pour admirer les traces écrites que nous ont léguées écrivains et personnages historiques. L’occasion de revenir sur le rapport que l’ancien président entretient avec la culture, mais aussi sur sa passion méconnue de collectionneur et d’amateur d’art. (…) Chaque président, ou presque, a eu son auteur de prédilection. Pour Nicolas Sarkozy, il s’agit de Louis-Ferdinand Céline, qui lui a fait découvrir une “expression du génie romanesque à l’état pur”, selon ses propres mots, et dont il possède un autographe. “On peut aimer Céline sans être antisémite comme on peut aimer Proust sans être homosexuel”, avait du reste précisé le président en 2008.”

Tant de sollicitude artistico-journalistique confond et tant de profondeur culturelle émeut tous ceux qui croyaient encore que l’ancien président était resté encalminé dans la vase de La Princesse de Clèves. Mieux encore, Plume nous apprend que “si l’on ajoute à cette passion pour Céline celle pour le romancier Albert Cohen, auteur de Belle du seigneur, et pour le poète Rimbaud, “l’homme aux semelles de vent”, dont l’ancien président rêverait de posséder une lettre autographe, on a là comme une sorte d’autoportrait en creux d’un Nicolas Sarkozy méconnu, loin des clichés médiatiques. (…) D’une identité à l’autre, le collectionneur Nicolas Sarkozy porte en lui l’amour du patrimoine, au service duquel il (re)mettra peut-être un jour ses qualités…”

Distinguer l’homme de l’œuvre, l’art du cochon et le blanchiment du patrimoine, c’est précisément la tâche à laquelle se consacrent ardemment les enquêteurs depuis des mois. Si l’implication de Gérard Lhéritier et de sa fille ne semble plus leur poser question, les largesses consenties à des figures politiques et médiatiques de premier plan n’ont pas encore révélé tous leurs secrets. Euromillions, venez avec vos rêves.

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