Conflit israélo-palestinien : "une tragédie inévitable"

Invité à Lyon, l'ex-ambassadeur d'Israël en France, Elie Barnavi, est persuadé que la paix devra être imposée par les Américains. Il dénonce le système politique israélien, étrille sa classe politique et Yasser Arafat, se déclare favorable au partage de Jérusalem. Et confie son sentiment de honte de voir sa démocratie abîmée par la colonisation.

Ambassadeur d'Israël en France entre 2000 et 2002, travailliste, historien, universitaire, Elie Barnavi était l'invité mercredi soir de Galiléo, cercle de cadres et dirigeants d'entreprises du Rhône. Cet homme de paix revient sur les origines du sionisme, la naissance d'Israël, l'échec du processus de paix et confie ses espoirs.

Pourquoi le sionisme est né en Europe

C'est en 1896 que Théodore Herzl publie Der Judenstaat (l'Etat juif). Il est à l'origine d'un fonds national juif destiné à l'achat de terres en Palestine. C'est à Bâle que s'est réuni le premier congrès sioniste.
"Est-ce le "Cadeau de l'Europe aux Juifs", comme le veut la formule Kurt Blumenfel, l'ami de Hannah Arendt ? 9/10e de la population juive vivait en Europe à la fin du 19e siècle. Le sionisme est né à un moment où l'Europe bouillonnait de passions nationalistes, à l'intérieur des grands empires. Les Juifs aussi voulaient l'autodétermination. Mais l'idée d'un Etat spécifique apparaissait alors comme une idée bizarre, une utopie pour beaucoup de Juifs. C'est le nazisme qui est à l'origine de l'adhésion massive des Juifs au sionisme".

Le choix de la Palestine pour accueillir les Juifs

Comme le rappelle Jacques Lefebvre, président de Galileo, en 1914, sur les 725 000 habitants qui peuplaient la Palestine, 85 000 seulement étaient juifs. Pourquoi alors avoir choisi la terre de Palestine pour y créer l'Etat Hébreux ?
"D'autres terres ont été imaginées pour accueillir le peuple Juif (Madagascar, l'Argentine...). Mais le choix de la Palestine n'est pas un caprice. C'est là qu'est né le peuple juif, qu'il en a été chassé. La présence juive en Palestine est millénaire. Toutefois, ce n'est évidemment pas la rencontre d'un peuple sans terre à une terre sans peuple. Ca, c'est un mythe. Le sionisme après la Shoah devient une nécessité plus qu'un choix. L'antisionisme règne un peu partout en Europe. Cet affrontement d'un peuple qui n'a pas d'autre choix que de venir et d'un peuple qui est déjà là, c'est une tragédie inévitable".

Quelle est l'identité nationale en Israël ?

"Pour les fondateurs, Israël est inspiré des idéaux de la Révolution française, teintés de populisme russe, très à gauche. David Ben Gourion, le premier premier-ministre du pays, n'est pas allé jusqu'au bout en coupant l'identité israélienne de ses racines juives (culturelles et religieuses), car c'était le ciment du vivre ensemble".

L'échec d'Oslo

Le processus d'Oslo est un ensemble de discussions ayant conduit à la poignée de main entre Arafat et Rabin en 1993 et l'instauration de l'Autorité palestinien, sans parvenir à la création d'un Etat spécifique.
"C'était mal fichu. On a imaginé un processus sans lui assigner de but. C'est un peu comme prendre un train sans connaître sa destination. Oslo a souffert de sa complexité : chaque clause conditionnait la suivante. Les extrémistes se sont vus offrir les moyens de détruire le processus, par le terrorisme ou la colonisation. Il n'y avait aussi de contrôle international. Mais ce processus n'est pas un échec total puisqu'il a abouti à une reconnaissance réciproque des deux parties".

Yasser Arafat, un chef révolutionnaire, pas plus

"Excellent chef révolutionnaire dans des conditions très difficiles, Arafat n'est pas parvenu à se transformer en homme d'Etat. Il n'est pas devenu en somme un Ben Gourion. Il est coupable d'avoir mis en place 15 milices concurrentes au lieu d'une police unifiée et surtout un système mafieux".

Les Américains, faiseurs de paix ?

L'administration américaine espère impulser en neuf mois une dynamique décisive destinée à relancer le processus de paix. En particulier George Mitchell, représentant spécial du Président américain au Moyen-Orient, se donne deux ans pour réussir à instaurer la paix.
"Seuls les Américains peuvent imposer la paix. Ce sont les seuls dont les Israéliens ne peuvent se passer. Aujourd'hui, personne dans le monde ne règle seul les problèmes. Ici, les deux parties en sont incapables. Je constate l'extrême faiblesse des dirigeants en Palestine et en Israël. La classe politique israélienne est médiocre : elle n'a pas de leader doté d'une vision. Tzipi Livni, c'est quand même pas Ben Gourion.

Surtout nous avons le pire système électoral que l'on puisse imaginer. La proportionnelle intégrale, c'est un simulacre de démocratie. La Knesset est ingouvernable, les petits partis font la loi. Même s'il le voulait, Netanyahou ne pourrait faire avec la paix avec les Palestiniens. Du côté palestinien, c'est évidemment pire avec deux entités improbables antogonistes (ndlr : le Hamas qui contrôle la bande de Gaza et le Fatah qui dirige la Cisjordanie). Il faut donc que les Américains imposent la paix et exercent des contrôles, avec des sanctions à la clé en cas de non respect des engagements".

Obama, peut-il arracher la paix ?

"Les Américains n'ont jamais changé de politique au cours du temps. Dans le discours, ils ont toujours été plus proches des positions palestiniennes, en refusant la colonisation au-delà des frontières 67 ou l'annexion totale de Jérusalem. Dans les faits, ils n'ont rien fait, sauf Bush père, Carter et Kissinger.
Obama s'y est d'abord mal pris. Il a perdu un an. Il aurait dû présenter un plan au lieu d'être obnubilé par les implantations. Et aujourd'hui, il donne une impression de faiblesse. Mais je retiens qu'il s'est attelé à ce sujet d'emblée et pas en fin de mandat comme Clinton. Il a donc le temps de parvenir à des résultats. S'il devait échouer, parvenir à la paix deviendrait très compliqué".

Partager Jérusalem ?

C'est le principal point d'achoppement sur lequel butent les deux parties. Pour Israël, Jérusalem unifiée est sa «capitale éternelle». La communauté internationale ne souscrit pas à cette vision et Jérusalem-est, à majorité arabe, est souvent considérée comme un territoire occupé appelé à devenir la capitale de l'Etat palestinien.
"Les accords de 2000 prévoyaient l'établissement de deux capitales, tout en gardant l'unité physique de la ville. Tout le problème, c'est le bassin sacré, 2 km2, qui concentre toute la folie des hommes. La solution de sagesse, ce serait de proclamer Tel Aviv et Ramallah comme capitales des deux Etats.
Faire de Jérusalem la capitale des deux Etats, ce n'est pas la solution la plus commode. Cette ville s'est considérablement développée ces dernières décennies, avalant tous les villages arables qui n'avaient aucun lien avec elle. C'est devenu un truc monstrueux. Il faudra la partager et l'opinion israélienne y sera favorable".

"Des cinglés absolus dans les colonies"

"Je pense à la responsabilité écrasante de ces politiques qui ont organisé la colonisation au-delà des frontières naturelles d'Israël, provoquant des dizaines, des centaines de morts. Il y a dans les colonies des cinglés absolus qui s'imaginent au temps de la Bible à côté desquels les gens de l'OAS passeraient pour de doux rêveurs. Le retrait de Cisjordanie sera donc plus difficile qu'à Gaza, mais pas infaisable. L'opinion le soutiendra".

La paix avec Netanyahou ?

"C'est surtout possible avec Netanyahou : il n'a sur sa droite que l'extrême droite. Ce n'est pas idéologue, il est pliable".

Faut-il discuter avec le Hamas ?

"Discuter avec le Hamas, ça n'a pas de sens. Mais il faut l'intégrer dans un gouvernement d'union nationale et qu'il accepte le référendum qui sera organisé après les accords".

Les Palestiniens et nous

"Paradoxalement, de tous les pays de la région, ceux avec lesquels le fossé est le moins profond, ce sont les Palestiniens. De par la proximité géographique, il y a des habitudes de vivre et de penser ensemble. Mais mon inquiétude, c'est que depuis la 1ere intifada, il y a une génération de Palestiniens qui n'a grandi qu'en voyant des colons ou des militaires et pas des Israéliens normaux".

Etre citoyen d'une démocratie colonisatrice

"C'est très pénible. Je ressens parfois un sentiment de honte, quelles que soient les raisons qui ont amené à ce problème. Les meilleures raisons deviennent à un moment nulle et non avenue face à la réalité militaire, au fait de chevaucher un autre peuple, de l'empêcher d'accéder à la dignité nationale. Ca, c'est insupportable. C'est immoral et même suicidaire pour nous-mêmes car il y a une réalité démographique et politique défavorable. Une démocratie ne peut qu'être abîmée par l'oppression dont elle est coupable, qui infecte au final l'Etat de droit".

Connaîtrez-vous la paix ?

Oui, j'en suis persuadé, comme je l'étais de connaître la chute du mur de Berlin avant qu'elle ne survienne.

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