Muguette Dini
Muguette Dini © Tim Douet

Muguette Dini : “L’auto-entreprise mérite un vrai statut”

INTERVIEW Rendu le 3 juillet à la commission de contrôle de l’application des lois du Sénat, le rapport de 86 pages sur le régime de l’auto-entrepreneur n’y va pas par quatre chemins. À rebours des options choisies en mai par la ministre de l'Artisanat Sylvia Pinel, ses rapporteurs – les sénateurs PS et UDI Philippe Kaltenbach et Muguette Dini – s’y attaquent à sa réforme, dont le texte doit être présenté le 21 août, au conseil des ministres de rentrée. Un rendez-vous devait se tenir fin juillet entre les forces en présence. Il n'aura pas lieu, reporté à une date ultérieure. L’heure est au statu quo. Mais pour Lyon Capitale, la sénatrice du Rhône Muguette Dini aiguise déjà ses contre-arguments.

Lyon Capitale : En vigueur depuis 2009, le statut d'auto-entrepreneur a déjà subi 11 modifications en quatre ans… Mais au fond, ce régime a-t-il vraiment permis de lutter contre le chômage ?

Muguette Dini : Nous sommes absolument incapables de le dire à l’heure actuelle, parce que nous ne savons pas chiffrer le nombre d’auto-entrepreneurs passés du chômage au marché du travail ! Notre proposition pour y remédier : demander aux auto-entrepreneurs des précisions sur leur situation au regard de l’emploi, s’ils étaient au chômage, salarié, étudiant, retraité, etc., ainsi qu’une déclaration sur l’honneur en matière de qualification et d’assurance obligatoire.
Car, j’ai une intuition : beaucoup d’auto-entrepreneurs ont connu le chômage – parfois de longue durée – et ne font qu’essayer de trouver un moyen de s’en sortir par le haut. Nous ignorons combien, mais attention à ne pas détruire la souplesse du régime ! Le président Hollande a requis un “choc de simplification”… Pour les auto-entrepreneurs, il y a encore du travail, certes, mais la simplicité prédomine déjà sous le régime de l’auto-entreprise. Et si ce régime mérite un vrai statut pour éviter les effets pervers, il ne doit pas perdre au change en abandonnant ce qui fait sa force : cette simplicité même.

Dans le cadre de votre travail en commun, quelles ont été vos relations avec votre collègue socialiste Philippe Kaltenbach ?
Grâce aux auditions que nous avons réalisées, nos vues ont très vite convergé, et nous sommes prêts à affirmer nos positions. Tous les deux, nous ne voyons pas en quoi un plafonnement du chiffre d’affaires et une limitation dans le temps pourront améliorer la situation, ni changer quoi que ce soit… La réforme ne doit pas se faire au prix d’une complexification. Aussi s’est-il produit quelque chose d’amusant dans nos entretiens et visites aux acteurs impliqués par cette loi, avec Philippe Kaltenbach : lui, qui était plutôt contre les auto-entrepreneurs, et moi, très pro-auto-entrepreneurs, nous nous sommes rejoints.

Le projet de la ministre Sylvia Pinel est connu depuis juin, vous vous y êtes opposée… Pour autant, pensez-vous pouvoir faire infléchir sa position, voire lui faire changer d’avis ?
Qui sait ? Mais, avec mon collègue socialiste, ce n’était pas notre objectif. Nous avons été mandatés pour contrôler l’application de cette loi sur les auto-entrepreneurs bien avant que Sylvia Pinel n’annonce sa volonté de réformer le régime. Nous avons une approche, la ministre a la sienne – mais rien n’indique qu’elle se confirmera.
Elle propose de limiter d’un à cinq ans les bénéfices du régime d’auto-entrepreneur, dans les cas où celui-ci concerne l’activité principale. Elle prévoit aussi un seuil à 19 000 euros de chiffre d’affaires dans le secteur des services, et 47 000 dans le commerce. Si ce seuil est franchi deux années de suite, l’auto-entrepreneur aura un an pour évoluer vers un régime classique. Ce n’est pas notre façon de penser…

Pourtant, dans le bâtiment notamment, certains voient l’idée d’un bon œil…
Parce qu’ils craignent le pire ! Mais il faut l’admettre : cette mesure des seuils sera un gadget. Car, si l’auto-entrepreneur a envie de continuer à travailler, il abaissera le montant qu’il gagne réellement pour qu’il se situe au-dessous du seuil, et fournira des chiffres fictifs pour pouvoir rester dans l’auto-entreprise et fera ainsi plus de travail au noir. Le problème majeur se pose surtout pour les artisans du bâtiment, les coiffeurs et les métiers de la réparation automobile.
Eux ressentent une concurrence déloyale des auto-entrepreneurs et ont raison, pour certains. Mais les autres secteurs n’ont fait aucune réclamation particulière, et nous considérons qu’en général le bilan est positif. C’est pourquoi, selon nous, il faut plutôt imaginer des “régimes spéciaux” et réformer au cas par cas.

À vous entendre, tout est donc à jeter, dans le projet Pinel…
Non, pas tout ! Un exemple d’idée vraiment intéressante : arrivés à la moitié des seuils prévus, les auto-entrepreneurs disposeront d’un accompagnement financé par la formation professionnelle, à laquelle ils contribuent à hauteur de 10 millions d’euros. Par cette mesure, les auto-entrepreneurs dont le chiffre d’affaires augmente pourraient plus facilement envisager un autre statut, avec un suivi adapté. Ceci ne doit pas être une obligation. Les auto-entrepreneurs comprendront ainsi qu’il est dans leur intérêt d’opter pour un nouveau statut. Encore faut-il que nous les guidions dans ce sens…

Publiés en parallèle du rapport de Muguette Dini et Philippe Kaltenbach, le 3 juillet, les chiffres provisoires de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) font le bilan de fin de 1er semestre 2013 de l’application du régime des auto-entrepreneurs. Ils permettent de tirer quelques enseignements.

Pour la première fois, le nombre de radiés a dépassé celui des affiliés fin 2012 : 80 570 radiations contre 72 464 affiliations. Sur l'ensemble de l'année 2012, près des deux tiers de ces radiations ont été opérées automatiquement après huit trimestres consécutifs sans chiffre d'affaires déclaré, quelques-uns après des opérations de contrôle des Urssaf.

Mais le régime de l’auto-entrepreneur conserve une certaine popularité, avec 893 062 auto-entrepreneurs recensés en mai, contre 872 360 fin mars. Sur ce total, 49 % d’auto-entrepreneurs dégagent un chiffre d’affaires, soit près de 410 000 auto-entrepreneurs.

Parmi eux, le chiffre d’affaires moyen des auto-entrepreneurs tourne autour des 3 200 euros par trimestre. Seulement 20 000 ont dégagé un chiffre d’affaires annuel supérieur à 10 000 euros par an – essentiellement dans la construction, le commerce et les activités juridiques.

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