Gérard Collomb
© Tim Douet

Gérard Collomb ministre, un vieux rêve

Gérard Collomb a été nommé ministre de l'Intérieur du gouvernement formé par Édouard Philippe. À 69 ans, le maire de Lyon et président de la métropole réalise enfin un rêve après lequel il court depuis près de trente ans. Portrait.

Gérard Collomb et Emmanuel Macron, à Lyon, en juin 2016 © Tim Douet

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"Je suis content pour lui, à 70 ans, il va enfin sucer le bonbon !" La formule amicale est d’André Soulier, l’ancien premier adjoint, qui ne doutait pas ce matin de l’accession de son vieil ami au ministère de l’Intérieur. En entrant au gouvernement, Gérard Collomb réalise un rêve qui lui a tant de fois glissé entre les doigts. Combien de remaniements vécus sans s’éloigner du téléphone avec le secret espoir d’un appel de Matignon ? Dans la dernière ligne droite, il a même craint d’être rattrapé par la limite d’âge, sacrifié sur l’autel du "renouvellement". Pour avoir été le premier "grand élu", et longtemps l’un des seuls, à croire dans le destin présidentiel de l’ancien ministre de l’Économie, cela méritait bien une exception et Emmanuel Macron lui aurait laissé le choix de son ministère. Mais hier encore, on s’interrogeait sur l’âge du capitaine, dont chacun a remarqué qu’il est apparu "fatigué" à l’issue de la campagne, un membre de la haute fonction publique nous confiant que "place Beauvau, on doute de la pertinence du choix parce que l'Intérieur est un ministère exigeant physiquement où il faut de la force physique et émotionnelle. Il faut aller sur les accidents de la route, les inondations et les attentats. C'est un boulot usant. Surtout quand on passe après Cazeneuve qui a été très présent".

Les "larmes" de Gérard Collomb le jour de la passation ont ainsi été abondamment commentées, mises sur le compte de l’âge, la fatigue… Le maire de Lyon est pourtant coutumier de ces signes d’émotion les soirs de victoires, et ils avaient jusqu’ici plutôt été mis au crédit de sa sincérité, perçus comme les larmes bien compréhensibles d’un homme qui se retourne sur son parcours et ses origines ouvrières, se souvient de son père qui n’imaginait pas pour lui plus haute ambition que d’accéder au lycée technique.

"Une grande traversée du désert"

Agrégé de lettres classiques, quand il a délaissé ses élèves pour la politique, sa carrière connaît un démarrage fulgurant. Conseiller municipal à 30 ans, député à 34 ans… mais très vite, la machine s’enraye. En 1983, la mairie du 9e arrondissement lui passe sous le nez à 50 voix près ; en 1988, Pierre Mauroy glisse son nom à François Mitterrand pour un secrétariat d’État mais le président met son véto, lui reprochant d’avoir soutenu Rocard en 1981 ; quelques semaines plus tard son siège de député ne résiste pas au redécoupage des circonscriptions par Charles Pasqua. En 1989, c’est la déroute aux municipales. La spirale de l’échec : "j’ai connu une grande traversée du désert ; ça forge le caractère", confiera-t-il plus tard à Lyon Capitale.*

Il fait ainsi figure de "serial loser" à l’approche des municipales de 1995, et beaucoup l’appellent encore "l’autre Collomb", référence au précédent maire Francisque Collomb. À Paris, dans des cercles qu’il n’a jamais trop fréquentés en dehors de sa loge maçonnique, on doute de sa capacité à résister au débarquement de Raymond Barre. Les appétits s’aiguisent. Mais Gérard Collomb est un coureur de fond. Accompagné d’Hubert Julien-Laferrière à la guitare, il fait le tour des maisons de retraites pour pousser la chansonnette. Il y gagne une "force militante" qui lui permet de venir à bout du médecin Jean-Louis Touraine, pourtant auréolé de sa stature de spécialiste du Sida. Vingt ans plus tard, Gérard Collomb a joué de tout son poids pour les imposer tous deux comme candidat En Marche ! dans le centre-ville lyonnais, Hubert Julien-Laferrière dans la 2e circonscription, Jean-Louis Touraine dans la 3e, et ce malgré les toussotements des "marcheurs", néophytes de la politique, qui espéraient d’autres gages de renouvellement.

Mais en 1995, la carrière de Gérard Collomb ne tient encore qu’à un fil. À la tête d’une gauche déjà plurielle, formule dont il revendique la paternité, il réalise son premier grand fait d’arme : Raymond Barre ne passe pas loin du crash et la gauche emporte pour la première fois trois arrondissements. À la tête du 9e, Gérard Collomb joue l’ouverture, déjà. "Je ne me considère pas comme l’opposition, mais comme la future majorité" explique-t-il. En échange de programmes ambitieux de rénovation de son arrondissement, dans lequel il fait notamment venir Bruno Bonnell et Infogrames, il apporte son soutien au centriste Raymond Barre qui n’a en réalité pas de majorité : sa fusion avec le RPR lui a coûté cher et Henry Chabert dirige un groupe gaulliste qui fait souvent figure de véritable opposition municipale, tandis que Gérard Collomb désespère la gauche par son soutien indéfectible à l’ancien premier ministre. La stratégie paye : en 2001, Raymond Barre laisse dire qu’il aimerait voir Gérard Collomb lui succéder. La ville qui n’a pas connu l’alternance depuis 50 ans est imperdable pour la droite. Mais la droite se déchire, toujours pas remise de la fracture née après l’alliance nouée avec le FN par Charles Millon à la région. Et Gérard Collomb, bien que minoritaire en voix, décroche six arrondissements sur neuf et emporte la ville au bénéfice de la loi électorale PLM.

Agacé d'être comparé à Bertrand Delanoë

Gérard Collomb ()

© Tim Douet

Éclipsé par la victoire parisienne de Bertrand Delanoë, l’exploit ne le fait toujours pas accéder au rang de personnalité nationale. Dans les premiers mois de son mandat, Gérard Collomb peine à donner forme à la modernisation qu’il entend entreprendre. Et vit assez mal la comparaison permanente avec son homologue parisien. Le nouveau maire de Paris enthousiasme, lui, rapidement la presse avec ses “bordurettes” pour vélos, des menus bio dans les cantines, la création de parcs et jardins de proximité, l’achat de véhicules électriques, le recrutement de 500 emplois-jeunes pour surveiller les sorties d’école, le lancement d’un audit général... À Lyon, les annonces se font attendre, sauf sur la sécurité, déjà, “le socle sur lequel tout peut se construire”, assure Collomb. “Gauche : 100 jours un peu courts”, titre Lyon Capitale, qui fait réaliser un sondage en décembre. Verdict : si 56% des Lyonnais se disent satisfaits de la nouvelle équipe, 73 % n’ont pas perçu de changement. Un an après, Gilles Buna, son fidèle adjoint (Verts) à l’urbanisme, pointera les erreurs faites notamment sur la communication : “Il faut donner des signes, des symboles qui illustrent le sens d’une politique. À Paris, Paris Plage a mis en scène cette volonté, même si à la fin du mandat en 2007, dans cette ville, les berges seront encore dédiées aux automobiles.”

La fin du mandat est finalement repoussée d’un an, à 2008, et c’est une vraie bénédiction pour Gérard Collomb qui avait bien besoin de cette année de rab pour finir de chasser les voitures des berges du Rhône et inaugurer un espace immédiatement adopté par les Lyonnais. Avec Vélo’v et des événements comme Nuits Sonores, les berges sont le signe le plus visible de la mutation lyonnaise, tandis que le maire, lui, n’a pas tardé à renouer avec les pratiques habituelles d’un omnipotent baron local. Même Raymond Barre ne s’était pas montré aussi interventionniste avec la presse locale. Collomb passe des savons aux responsables du quotidien régional lorsque la photo de ses concurrents figure en meilleure place que la sienne. Il fait pression sur les annonces publicitaires et sur les institutions culturelles qui en prennent dans les médias, comme Lyon Capitale, qui ont l’heur de lui déplaire. Il prévient les responsables associatifs et chefs d’entreprises tentés de soutenir la droite, qu’il "saura s’en souvenir" s’il est réélu.

Parmi les premiers aussi à soutenir Ségolène Royal

Lors de la présidentielle 2007, il est l’un des premiers à sentir le phénomène Ségolène Royal et à lui apporter son soutien, plantant au passage en pleine primaire Dominique Strauss-Kahn qui pensait pouvoir s’appuyer sur lui. Collomb lui fournira d’ailleurs sa porte-parole de campagne, Najat Vallaud-Belkacem et forcera toutes ses équipes à se mettre au pas, menaçant de ne prendre que des "royalistes" sur ses listes aux prochaines municipales.

Mais la romance ne dure par et Collomb sera aussi parmi les premiers à lâcher la candidate investie par le PS quand il sent que la mayonnaise se délite. Il n’a quoi qu’il en soit jamais goûté à sa "démocratie participative". Lui même a abandonné sa promesse de référendum local sur la zone 30, raté son fameux Forum social, est passé en force sur le projet de Grand Stade… Il s’est même enfermé dans une pratique très solitaire du pouvoir. Celui qui assure être l’inventeur en 1995 du concept de “gauche plurielle”, est avant tout un adepte du “avec moi ou contre moi”. Il ne pratique l’ouverture que pour mieux contrôler ses alliés et prend soin de choisir des adjoints qui lui seront dociles. Les rebelles comme Étienne Tête en ont fait les frais. Son autre symbole de transparence et d’intégrité dans l’attribution des marchés publics, le banquier centriste Patrick Bertrand, a lui démissionné depuis 2005, ne voulant plus "jouer les guignols" sur des marchés qui lui paraissent "pipés" dans son dos.

“Lyon est en train de redevenir un lieu où se forge une partie de l’avenir de la France”

es larmes de Gérard Collomb lors de la cérémonie d'investiture d'Emmanuel Macron

Capture écran Twitter France 2
es larmes de Gérard Collomb lors de la cérémonie d'investiture d'Emmanuel Macron

La dynamique reste cependant incontestablement avec lui, l’évolution sociologique de la ville aussi, et Gérard Collomb triomphe en 2008 bien plus facilement qu’attendu de l’ancien garde des sceaux Dominique Perben. Et même dès le premier tour ! Gérard Collomb espère bien que cette fois, les portes de la reconnaissance nationale lui sont ouvertes en grand. “Il y a des leçons à tirer de cette élection qui ne valent pas seulement pour Lyon. Au moment où notre pays est à la recherche d’un autre destin, le modèle lyonnais pourrait en effet inspirer largement partout en France” lance-t-il depuis l’Hôtel de ville, avant de dresser son bilan : ”Nous commençons à rééquilibrer (la ville) en adressant un vrai message d’intégration et de réussite pour les jeunes français issus de l’immigration. Nous avons mis en place concrètement des politiques écologiques novatrices, en matière de transports, d’environnement, de santé. Nous avons peut-être et surtout, su associer, sans sectarisme, tous les citoyens à la vie de la cité.” Il conclu ce discours teinté d’aucune fausse modestie, sous un tonnerre d’applaudissements : “Lyon est en train de redevenir, comme dans ses meilleures périodes, un lieu de refondation et un lieu d’action, un lieu où se forge une partie de l’avenir de la France”. Pendant les dix ans qui ont suivi, il restera pourtant largement méprisé à Paris, snobé à chaque remaniement, même s’il continue de croire en sa chance. Si les médias nationaux l’invitent désormais régulièrement, c’est avant tout parce qu’il s’est fait une spécialité de franc-tireur, le bon client qui allume son propre camp. En août 2014, après le virage Valls, il a adouci le ton et espère qu’enfin son heure est arrivée. Son nom est cité pour l’Économie. C’est finalement un certain Emmanuel Macron qui lui grille la politesse. Gérard Collomb en tiendra rancune à François Hollande, mais pas à Emmanuel Macron. Quand ce dernier commencera à s’émanciper, il sera un des premiers à percevoir qu’il y a un espace possible. Et à mettre toutes ses troupes en marche forcée derrière son nouveau champion. À Lyon et au Grand Lyon, pour espérer une investiture ou même conserver une fonction, il faut désormais être macroniste. À travers la victoire de son protégé, Gérard Collomb perçoit la victoire de son "modèle lyonnais". La reconnaissance, enfin. Cela méritait bien une larme.

* lire « le combat d’une vie », 21 mars 2001, portrait d’Anne-Caroline Jambaud dans Lyon Capitale.

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