Affaire de Saint-Fons: le procès d’une époque

A partir de ce lundi, dix ans après le dépôt de la plainte, l’affaire de Saint-Fons est enfin être jugée. Prescription oblige, seuls les faits les plus récents et donc les moins politiques seront étudiés par la justice. Ce procès va clôturer les années noires du financement de la vie politique dans un drôle de contexte. La ville de Saint-Fons, dirigée par une élue socialiste, est partie civile contre d’autres membres de son parti. Retour sur un système opaque de “pompage” d’argent public.

Ce lundi 27 juin, c’est le procès d’une décennie qui va s’ouvrir. Un vestige de ces années 1980 où les élus avaient tendance à confondre l’argent de leur parti avec celui de leur commune. Aucun parti politique n’aura été épargné à l’époque par les scandales. Avec le procès de Saint-Fons, cette page de la vie politique française devrait se fermer. Ce procès est aussi celui d’une décennie, en raison du rythme de la justice. Les débats vont débuter, en première instance, dix ans presque jour pour jour après le dépôt de la première plainte par Michel Denis, maire (Divers droite) de la commune de Saint-Fons de 2001 à 2008. Lyon Capitale s’est souvent penché sur cette affaire. En décembre, nous révélions des pièces du dos- sier d’instruction évoquant des faits prescrits. Ils faisaient apparaître un système bien rôdé.

Deux morts au coeur du débat

En bout de chaîne, le Parti socialiste était toujours le grand gagnant de l’opération de “pompage” d’argent public de la ville de Saint-Fons. La justice, elle, se penchera sur des faits beaucoup plus complexes, l’héritage d’un système lancé dans les années 1980 et qui a perduré jusqu’en 2001. Prescription oblige, les juges ne se pencheront que sur la queue de la comète. Sur le banc des accusés, hormis Yves Blein, maire de Feyzin et vice-président du Grand Lyon, il n’y aura aucun cadre du Parti socialiste local. Ils connaissaient pourtant bien Saint- Fons et ses largesses. La municipalité, directement ou par l’intermédiaire de l’une de ses structures – le Comité pour nos gosses (CPNG) –, a en effet réglé au moins quelques frais de bouche pour la fédération du Rhône. L’affaire qui arrive devant les juges est beaucoup plus complexe et ne concerne que des à côtés du système mis en place à Saint-Fons. Les montages financiers imaginés par les créateurs du système, dont deux sont morts (Franck Sérusclat, ancien sénateur-maire de la ville, et Michel David, présenté comme le seul connaissant toutes les combines), sont d’une grande opacité.

Le centre Léo-Lagrange au cœur du système Au cœur de cette nébuleuse, on retrouve invariablement l’association Léo-Lagrange, une structure socialisante créée par Pierre Mauroy dans les années 1950, dont l’antenne lyonnaise a été l’une des rares à vraiment fonctionner. Elle sera au cœur de tous les débats lors du procès qui commence le 27 juin. L’un des grands enjeux de l’audience consistera à déterminer si des surfacturations de mise à disposition ont eu lieu, et pour quels montants (voir fac-simi- lés). Pour sa défense, la fédération Léo- Lagrange explique les différences de coût pour la collectivité par son fonctionnement. Comme une agence d’intérim classique, elle facture certains frais supplémentaires. Des salariés mis à disposition du CPNG par Léo-Lagrange allaient même jusqu’à ignorer à qui leur salaire était facturé. Le cas de Caroline Rannou est encore plus cocasse. Le salaire de cette conseillère d’orientation est pris en charge par l’Éducation nationale, qui la met à disposition de Léo-Lagrange. Mais, dans le même temps, l’antenne locale de cette association proche du PS facture son salaire à la ville.

Léo-Lagrange le pivot d’un mécanisme de facturations et de paiements

Un dernier point sera au cœur des débats : la gestion du centre aéré de Dolomieu, en Isère. Il résume assez bien le système mis en place à Saint- Fons. Propriété de la ville, la gestion en est confiée à Léo-Lagrange. Cette association reçoit annuellement une subvention d’équilibre afin d’être sûre de ne pas perdre d’argent. Lors de la signature de la délégation de service public, la ville de Saint-Fons s’engage à régler un forfait pour 7 000 journées d’hébergement. Le seuil ne sera jamais atteint, mais la municipalité paiera toujours. Les activités de jour étaient, elles, facturées par Léo-Lagrange au CPNG. Parallèlement, le CPNG réglait aussi un forfait pour des activités et, là encore, le seuil fixé ne sera pas atteint. À Saint-Fons, Léo-Lagrange ne faisait jamais de mauvaises opérations.

Selon Antoine Gaudino, un ancien policier qui a révélé l’affaire Urba et qui a réalisé un audit des comptes de la ville de Saint-Fons en 2001, les surfacturations atteindraient jusqu’à 57 %. Entre 400 et 500 personnes par an étaient mises à disposition du CPNG par Léo- Lagrange. En 2000, la facture globale pour l’organisation paramunicipale s’élève à plus de trois millions de francs. “L’instruction a démontré qu’à travers ces actions la fédération Léo- Lagrange était devenue le pivot d’un mécanisme de facturations et de paiements qui faisait transférer une partie des fonds publics (...) de la commune vers la Fédération nationale Léo- Lagrange [FNLL] ou l’URLL [Union régionale Léo-Lagrange] et, de là, vers des structures affiliées, de plus en plus éloignées de l’objet social, pour finalement créditer les comptes personnels de Michel David”, peut-on lire dans l’ordonnance de renvoi.

Un procès de dupes ?

L’affaire de Saint-Fons a éclaté quand la ville a changé de couleur politique. Ce bastion de gauche bascule en 2001. Le nouveau maire, Michel Denis (Divers droite) fait de cette affaire son dossier prioritaire. Dans les mois qui suivent, il porte plainte. La ville de Saint- Fons se porte partie civile. Mais depuis, l’alternance politique a encore frappé à Saint-Fons. La socialiste Christiane Demontès récupère la ville en 2008 et hérite donc de la plainte déposée. Sa ville reste partie civile dans un procès qui l’opposera à l’ancien maire socialiste et à d’autres camarades de son parti. L’une des premières décisions de Christiane Demontès est de changer d’avocat. Elle mandate son assistante parlementaire pour choisir un nouveau conseil juridique. Cette dernière, qui est la sœur de l’un des prévenus, Yves Blein, demande à l’avocat de l’un des accusés de l’aider à faire son choix. Deux ans plus tard, lors de l’ouverture du procès, la partie civile Ville de Saint-Fons a demandé un complément d’information afin de savoir s’il y avait un préjudice ou non dans cette affaire. Et si oui, quel en était le montant. Le procès qui va s’ouvrir le 27 juin ne devrait pas déboucher sur une lutte fratricide entre la partie civile, la municipalité de gauche actuelle, et les prévenus, dont beaucoup sont encartés au PS.

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Le mort qui arrange tout le monde

Michel David amène un côté encore plus sulfureux à l’affaire de Saint-Fons. Son nom jaillit de presque tous les documents de l’instruction. Secrétaire général de la mairie de Saint-Fons, secrétaire de section du PS et membre de presque tous les démembrements du CPNG et de Léo-Lagrange, il était le seul à connaître le système dans sa globalité. Il était aussi le seul à avoir profité personnellement des fausses factures qui lésaient l’association Léo- Lagrange. L’histoire n’ira jamais plus loin. Michel David est décédé peu de temps avant que l’affaire n’éclate. Il a rédigé une lettre dans laquelle il reconnaît sa culpabilité, mais les circonstances de ces aveux laissent toutefois sceptiques. Yves Blein les aurait rédigés à son bureau. “Je les ai ensuite amenés à M. David, qui les a signés après les avoir lus. Nous n’étions que deux dans la chambre”, déclarera yves Blein aux enquêteurs. “Je n’ai jamais regardé ce document comme une preuve, vu l’état de Michel à ce moment-là”, confiera son gendre aux policiers. Un autre détail interpelle, dans le portrait du coupable idéal Michel David. Les factures qui ont permis d’acheminer l’argent de Léo-Lagrange sur son compte personnel ont été falsifiées par ordinateur. Or, Michel David n’a jamais su se servir d’un ordinateur.

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Gérard Collomb profitait aussi de Saint-Fons

Le nom de Gérard Collomb apparaît dans l’ordonnance de renvoi du dossier de Saint-Fons, mais le maire de Lyon ne comparaîtra pas devant la justice. Il est associé à l’affaire en tant que fondateur de l’EPRA, une association dont Michel David, le cerveau de la nébuleuse, se servait pour faire passer l’argent vers son compte en banque personnel. Entendu par les enquêteurs, Gérard Collomb niera avoir été au courant de ces malversations et prétendra avoir démissionné de ses fonctions de président de l’EPRA au début des années 1990. Sa dernière activité avec cette association remonte à 1994. Au même titre que d’autres groupes politiques siégeant au conseil municipal de Lyon, les socialistes doivent rembourser plus de 416 000 francs indûment octroyés par l’équipe de Michel Noir. Gérard Collomb empruntera une partie des fonds auprès d’établissements bancaires. Il complétera en demandant de l’argent à l’EPRA. La somme a pu être réunie par Michel David par le biais de fausses factures entre un démembrement de Léo-Lagrange et l’EPRA. Le nom de Gérard Collomb est aussi associé à Saint-Fons en raison d’un emploi fictif qu’il aurait fait financer par Léo-Lagrange. En avril 2010, Lyon Capitale révélait que le maire de Lyon avait fait prendre en charge le salaire de l’une de ses assistantes parlementaires par cette association proche du Parti socialiste.

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