Palais de justice de Lyon © Tim Douet
Palais de justice de Lyon © Tim Douet

L’aide aux sans-abri en débat au tribunal

L'entrée du palais de justice de Lyon © Tim Douet

Lundi 2 juin, avait lieu le procès de Lahso, association lyonnaise d’aide aux sans-abri. Les plaignants n’étaient autres que les familles prises en charge cet hiver par l’organisation, au village social de Villeurbanne. Elles lui reprochent de vouloir les remettre à la rue sans relogement. Ambiance tendue au tribunal, sur fond d’urgence sociale.

Boussad Benouali est assis sur les pierres du petit parc en face du tribunal de grande instance de Lyon, ses béquilles posées à côté de lui. Il montre sa carte d'identité française et ses papiers d'invalide et se dit dégoûté d'en être arrivé là : "Si rien n'est fait aujourd'hui, on va faire avec nos propres solutions !" Il attend la fin du procès qui l'oppose, lui et 17 autres personnes, à Lahso (L'Association de l'Hôtel Social), l'association qui les a hébergés cet hiver à Villeurbanne.

Gérer la fin du plan grand froid, “c’est du Kafka !”

M. Roure ()

© tim douet

Ils poursuivent l'association pour les avoir remis à la rue à la fin du plan froid. "Nous ne sommes pas responsables de l'hébergement d'urgence, c'est l'Etat. Nous n'avons pas le droit de reloger, nous ne pouvons qu'accompagner les gens. Or l'Etat a arrêté de payer les travailleurs sociaux au 31 mars", précise Martine Roure (ex-conseillère municipale PS de Lyon, à droite sur la photo ci-contre). Selon la présidente de Lahso, l'association risque la condamnation pour n'avoir pas relogé des gens dans le besoin, mais elle aurait été condamnée aussi si elle avait forcé les gens à entrer dans un logement. "C'est du Kafka !"

En attaquant l'association, les plaignants pointent une situation où tout le monde se désengage dès le 1er avril. Un militant du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples), soutien des familles, explique la démarche : "Nous voulons faire tomber l'expulsion au thermomètre. Aucun texte de loi ne dit qu'il faut que les gens partent au 31 mars. Il n'y a que des directives, mais elles n'ont pas la même force."

Mésentente autours des contrats individuels

L'affaire glisse du domaine de la loi à celui de l'éthique. Une association doit-elle continuer son travail malgré la fin d'une période d'urgence théorique et le relogement de la quasi-totalité des bénéficiaires (le village comptait cet hiver près de 180 occupants, dont la majorité a pu être orientée par Lahso vers un relogement) ? L'existence d'un contrat entre, d'une part, le Grand Lyon (propriétaire du terrain) et l'organisation, et, d'autre part, Lahso et chacun des occupants, devrait pourtant clarifier les obligations de chacun. "La convention entre le Grand Lyon et Lahso est toujours en vigueur", assure l'un des avocats des familles. La mission de l'Hôtel social devrait donc continuer selon lui.

En réalité, ce sont surtout les contrats individuels passés entre l'association et les SDF qui posent problème. Lorsqu'un individu sans domicile fixe accepte la prise en charge d'une association, les deux parties signent un papier où chacun s'engage selon les clauses définies. Lahso, pour sa défense, déclare que le contrat stipulait que la prise en charge se ferait "le temps du plan froid" et que les familles ont signé en toute connaissance de cause. En effet, certaines d'entre elles ne maîtrisent pas toujours le français, ce à quoi l'Hôtel social aurait répondu en produisant des documents dans leur langue et en faisant intervenir des traducteurs. Faux, répondent les occupants. L'avocat de Lahso précise que "les contrats disent que les gens doivent partir lorsqu'ils sont relogés". Les plaignants parlent donc de l'existence de deux contrats.

“Ils ne nous ont rien proposé”

"Il faut aller au bout du travail. Un bébé de 3 mois à la rue, que ça soit l'été ou l'hiver, c'est mauvais pour lui", tonne la présidente d'Enfants Sans Toit, venue soutenir les familles. Les versions divergent sur l'attitude de Lahso envers les occupants depuis la fin mars. Si l'un des avocats des plaignants a reconnu que l'action de l'association avait permis de reloger des gens même après l'assignation, les occupants présents à l'audience ne sont pas de cet avis. "Ils ne nous ont rien proposé, ils ne répondent pas au téléphone", expliquent deux mères de famille à la fin du procès. "Ils ont fait des promesses non tenues", avance un autre occupant. Mais Martine Roure se défend : "On a continué à les accompagner, on a trouvé des solutions. Mais certains occupants refusent de nous parler."

La situation devrait prendre fin après le 30 juin, date à laquelle le tribunal rendra son jugement. Le Grand Lyon, propriétaire du terrain de Villeurbanne, réclame l'expulsion des SDF du village social toujours occupé. En face, l'un des avocats des occupants juge que le TGI n'est pas compétent pour juger cette affaire et demande un renvoi devant le tribunal d'instance. En attendant, les familles, à bout, continuent à chercher des solutions de relogement, seules ou accompagnées par Lahso.

“Les associations sont très inquiètes de l’issue de ce jugement

L'affaire prend aussi un tour plus politique. Lors du dernier conseil municipal de la ville de Lyon, la maire du 1er, Nathalie Perrin-Gilbert, a évoqué le problème, demandant que la métropole prenne la compétence logement dévolue à l'Etat, à partir du 1er janvier. "Le soutien qui doit être apporté aux sans-abri sera d'autant plus efficace qu'il sera encadré par l'acteur le plus proche, à savoir la métropole", estime-t-elle. Mais le Grand Lyon a déjà fait savoir lors de la présentation du rapport annuel de la fondation Abbé Pierre qu'il ne s'en saisirait pas, tout du moins la première année – c'est trop compliqué, selon Olivier Brachet.

Lors du dernier conseil municipal, Anne Brugnera a avoué que la Ville suivait avec intérêt l'issue du procès opposant Lahso aux sans-abri de Villeurbanne : "Nous savons que les associations font tout ce qu'elles peuvent pour reloger, mais elles sont dans une situation extrêmement difficile. Nous craignons qu'elles ne veuillent plus participer au plan froid l'année prochaine", a estimé l'adjointe au maire. Gérard Collomb a confirmé : "Les associations sont très inquiètes de l'issue de ce jugement."

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