“Les sales guerres de Poutine en Ukraine”

Le texte ci-dessous est une tribune libre du président du Comité pour la défense de la démocratie en Ukraine.

La croisade (1) de Vladimir Poutine contre l’Ukraine ne date pas d’hier. Elle a véritablement commencé fin 2004, au moment de la déconfiture de Victor Ianoukovitch, successeur désigné du président ukrainien sortant, Leonid Koutchma, et “candidat” adoubé par Moscou, choisi à l’origine pour mener une politique dont le caractère ukrainien aurait été totalement absent et la russophilie un passage obligé. Ses projets allaient être mis à mal par la Révolution orange. Ce n’était que partie remise.

Poutine attendait son heure, dans l’ombre, et celle-ci se présenta enfin en 2010, avec la victoire du futur dictateur Ianoukovitch. La suite est connue : après avoir bradé la souveraineté ukrainienne au bénéfice exclusif du Kremlin pendant près de quatre ans et instrumentalisé son hypothétique signature de l’accord de coopération avec l’Union européenne dans le seul but de faire monter les enchères (signature qu’il refusera finalement, fin novembre 2013), Ianoukovitch a fui l’Ukraine le 21 février dernier et a été destitué par une majorité écrasante du Parlement ukrainien – y compris le Parti des régions – en laissant derrière lui un pays traumatisé : le monde entier a été le témoin effaré des exactions et des meurtres commis en direct par les nervis de Ianoukovitch contre les opposants du Maïdan, à Kiev.

À ce jour, le bilan de 105 morts risque encore de s’alourdir puisque qu’on dénombre près de 300 disparus – chiffre validé dernièrement par Amnesty France – et qu’on a retrouvé récemment le corps supplicié et défiguré de l’un des activistes du Maïdan près de Tcherkassy. Il faut ajouter à cela des centaines de blessés – environ 1 500 – parmi lesquels 160 journalistes. Pour avoir orchestré ces meurtres de sang-froid, validé les actes de torture et de barbarie, Ianoukovitch doit s’attendre à être jugé, un jour ou l’autre, par la Cour internationale de Justice. Mais il ne faudrait surtout pas oublier que celui qui a tiré les ficelles du pantin Ianoukovitch dans les coulisses n’est autre que Vladimir Poutine lui-même. Celui-ci avait absolument besoin de l’Ukraine pour solidifier son projet d’Union Eurasienne et, par voie de conséquence, d’un régime dictatorial à Kiev pour la conformer au ticket d’entrée.

On peut véritablement parler d’escadrons de la mort qui se sont abattus sur l’Ukraine entre janvier et février dernier, ciblant de préférence pour leurs enlèvements et leurs exactions des universitaires, des intellectuels, souvent des jeunes artistes… Cette sale guerre, aux relents ethnocidaires, c’est Poutine qui l’a instrumentalisée. Les méthodes employées et la présence avérée sur le Maïdan de conseillers et de représentants des forces de l’ordre russe l’attestent.

Ianoukovitch parti, Poutine s’est lancé dans une autre guerre : celle de la propagande et de la désinformation. Personne n’aura oublié les vitupérations de l’administration russe contre les “nazis” de Kiev et la déferlante des nationalistes sanguinaires censés menacer jusqu’à Moscou. Il aura fallu les interventions répétées du Congrès juif mondial et d’un collectif rassemblant de nombreuses personnalités juives d’Ukraine dénonçant la propagande mensongère de Poutine pour que celui-ci délaisse peu à peu ce filon. Les spécialistes de l’agit-prop, recrutés sur Internet et au grand jour par les responsables de la communication du Kremlin allaient encore donner de la voix lors de l’annexion de la Crimée – une copie conforme de l’Anschluss de l’Autriche en 1938 (2), selon la majorité des observateurs.

Cette opération prévue de longue date et combinant l’intervention éclair des troupes stationnées dans le Caucase tout proche pendant les JO de Sotchi avec la mise en place d’un climat schizophrénique inouï (à nouveau les “menaces” des nazis de Kiev, les informations jamais confirmées d’une “armée européenne” se massant aux portes de la Russie, le tout largement alimenté par les médias à la solde de Poutine) aura permis au maître du Kremlin de lancer sa première offensive militaire contre l’Ukraine par le truchement de “milices” d’autodéfense et de troupes sans insignes – les fameux “hommes en vert” – qui agissaient sur ordre de Moscou tout en le niant farouchement. C’est ce que l’on pourrait appeler la guerre par procuration.

Mais à présent une étape supplémentaire a été franchie avec les troubles orchestrés par des groupes d’activistes (encore des “hommes verts”, parfois les mêmes que ceux déjà photographiés en Crimée) dans quelques localités de l’est de l’Ukraine, notamment dans la région de Donetsk. Vladimir Poutine a réitéré ses menaces d’intervention en Ukraine orientale pour, dit-il, “répondre à l’appel des ressortissants russes menacés par les fascistes ukrainiens”. Force est de constater qu’à ce jour aucune exaction de ce genre n’a été répertoriée (3). Kiev a fait preuve d’une retenue exemplaire jusqu’à présent – ce que ses partenaires européens reconnaissent unanimement –, mais Moscou est en train de tester la capacité de réaction de l’Ukraine et attend le moindre incident pour justifier une intervention militaire.

Poutine préfère encore parler de “graves risques de guerre civile” cependant, il ne faut pas se leurrer : les garde-frontières ukrainiens et les forces de l’ordre ukrainiennes ont procédé ces dernières semaines à des arrestations qui ont permis de mettre à jour des transits de sommes d’argent très importantes en provenance de Russie, ainsi que du matériel informatique, des armes… La Russie a toujours largement épié – pour ne pas dire espionné – l’Ukraine, aussi et surtout après 1991, mais ces derniers mois ce phénomène a pris une ampleur industrielle, jusqu’à la frontière occidentale de l’Ukraine.

Poutine a fait de l’Ukraine un terrain de jeu, un jeu très dangereux mêlant des expériences de propagande et de subversion, des manœuvres militaires à grande échelle, une annexion territoriale… Il est affûté comme jamais et, même s’il jure le contraire, il se moque éperdument de la communauté internationale depuis des mois. Ces derniers jours, des membres du GRU et du FSB russes ont été arrêtés ou ciblés à l’est de l’Ukraine (4). La guerre de Poutine et – par la force des choses – de la Russie contre l’Ukraine, a commencé. La réunion quadripartite à Genève ce jour ne donnera sans doute rien, tant Poutine est devenu sourd à tout ce qui ne ressort pas de sa logique de la confrontation militaire. Plusieurs groupes politiques du Parlement européen ont à nouveau déposé hier un projet de résolution dénonçant les attaques répétées de la Russie contre l’Ukraine, la propagande mensongère et haineuse développée par le Kremlin, et appelant de leurs vœux à une coopération élargie et très démonstrative de l’UE pour soutenir l’Ukraine dans ces heures si difficiles.

L’objectif prioritaire est la bonne tenue des élections présidentielles du 25 mai prochain, l’organisation des législatives anticipées prévues par le gouvernement ukrainien par intérim et le référendum qui devrait suivre sur l’avenir de l’Ukraine. Les activistes “pro-russes” agissant actuellement à l’est de l’Ukraine ne sont que quelques centaines, organisés en petits groupes très mobiles et parfois armés (5). Cela ne suffira bien entendu jamais à orienter l’Ukraine dans le sens voulu par Moscou. L’UE doit donc se préparer à mettre à l’épreuve d’une attaque russe de grande ampleur ses déclarations en faveur de l’Ukraine. Poutine ne se résoudra pas tout seul à cesser ses guerres contre l’Ukraine.

Pour finir, cette offensive tous azimuts commence à avoir un impact certain sur la vie politique française. Ces dernières semaines, Marine Le Pen a multiplié les interventions médiatiques en faveur de la politique poutinienne en Ukraine, se déplaçant même personnellement à Moscou. Il semble utile de rappeler que le FN a fait partie des rares organisations étrangères invitées à venir superviser le référendum en Crimée. Enfin, au début de l’année, des représentant de la Manif’ pour tous ont également effectué le déplacement pour aller trouver une assistance auprès d’un régime qui représente à leurs yeux le dernier rempart chrétien contre la “déliquescence de l’Occident”. La classe politique française aurait tort de prendre à la légère cette attirance pour le messianisme moscovite…

1. Quand on parle de “croisade”, il faut garder à l’esprit que, depuis que l’Ukraine a reconquis son indépendance en 1991, Moscou a toujours imposé la présence d’une Église orthodoxe du patriarcat de Moscou, considérant son homologue ukrainienne comme illégitime et impie.
2. Un professeur de la prestigieuse université du ministère des Affaires étrangères russe (MGIMO), Andreï Zoubov, a été licencié début mars après avoir publié un article comparant le rattachement de la Crimée à la Russie à l’Anschluss.
3. Sur la base des observations rapportées tant par l’Onu que par l’UE ou l’OSCE.
4. Certains des activistes étaient armés d’AK100, qui ne sont en dotation que dans l’armée russe. Par ailleurs, des conversations téléphoniques entre certains des activistes et leurs donneurs d’ordres à Moscou ont été interceptées il y a quelques jours, le week-end dernier, par les services de renseignement ukrainiens.
5. À rapprocher des quelque 70 000 personnes qui ont participé à la Marche pour la vérité (contre la guerre), le week-end dernier à Moscou.
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