Belkacem
Tim Douet

Najat Vallaud-Belkacem, le révisionnisme pour les nuls

La porte-parole du gouvernement et ministre des Droits des femmes en remet une couche. Épaisse. Tout en appelant à "éviter de tomber dans la caricature" après sa proposition de "passer en revue" les manuels scolaires à propos de l’homosexualité. En a-t-elle seulement mesuré toutes les conséquences ? La question mérite d’être posée.

La tentation, quand une proposition est intrinsèquement idiote, c’est d’en faire des tonnes pour tenter de la rendre intelligente. De parler fort ou longtemps : c’est selon les tempéraments. Ainsi, chez nos confrères de RTL, la porte-parole du gouvernement s’est lancée dans une explication alambiquée : "Mon propos est simplement de dire que, dans la lutte indispensable à mener contre l'homophobie, contre les discriminations, contre les violences faites notamment aux plus jeunes d'entre nous qui se découvrent une orientation homosexuelle, il faut faire en sorte à tous les stades et particulièrement dans les cours d'écoles, on lutte contre des représentations qui sont stigmatisantes pour ces jeunes". Ouf. Jusqu’ici tout va bien. On suit tant bien que mal et on ne peut que cautionner.

Ce n’est pas grave, regarde Rimbaud"

Puis, Najat Vallaud-Belkacem s’emballe et ajoute : "Lutter contre ces représentations, c'est permettre à chaque enfant d'avoir des références naturelles dans l'Histoire. On peut s'identifier à telle ou telle personnalité. Or, la difficulté de beaucoup de nos enfants qui se découvrent cette orientation homosexuelle, c'est qu'ils ne peuvent s'identifier à personne et qu'ils se considèrent donc comme anormaux et c'est cette souffrance-là qu'il faut prendre en considération". Et là, il faut bien l’admettre, il devient plus difficile de partager son point de vue, moins anodin qu’il n’y paraît.

Car, si l’intention de départ est mièvrement louable, elle devient périlleuse dans la mise en œuvre préconisée. Suivons le raisonnement de la ministre : un enfant se découvre des penchants homosexuels ; pour qu’il se considère comme "normal", il faudrait qu’il puisse s’identifier à des auteurs et des personnages historiques célèbres, à "des gens bien" -au fond, à des icônes- et que cette référence soit « naturellement » présente dans les manuels scolaires. Enfin que son professeur prolonge : "Tu es attiré(e) par des personnes du même sexe que toi, ce n’est pas grave, regarde Arthur Rimbaud, il l’était aussi et ça ne l’a pas empêché d’être un immense poète".

Être "normal"

Tant pis, au passage, pour l’indigence du raisonnement et pour les hétéros, censés a priori n’avoir aucun problème de relations humaines, tant leurs modèles historiques sont jugés solides et évidents. Car si l’on a bien saisi le paradigme socialiste, ce qu’il faut avant toute chose c’est "être normal". Où se situent les curseurs, le normal et l’anormal, le moral, l’amoral et l’immoral, le postulat hollandais ne le dit certes pas.

Mais, bien plus grave, est-ce que l’on devra taire à tout prix, sous peine d’augmenter encore le traumatisme des enfants, les penchants des tyrans, dictateurs et autres criminels de guerre, lorsque leur homosexualité ou leur bisexualité est historiquement avérée ? (et ils sont nombreux dans l’Histoire, de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, en passant par les atrocités nazies). Oui ? Non ? Que dire, à un enfant, d’un auteur homosexuel et antisémite ? Qui, dès lors, est dans la caricature ? La ministre ? Ou ses détracteurs ?

Le règne de l’arbitraire

Si l’on considère que les pratiques et les penchants sexuels d’un auteur ou d’un personnage historique sont des marqueurs tellement puissants qu’ils suffisent à en expliquer l’essentiel, on entre de façon irrémédiable dans l’arbitraire, le subjectif et l’incertain. Raisonner de la sorte, c’est ouvrir la porte à tous les excès, à toutes les projections, à toutes les justifications, y compris les plus nauséabonds. C’est, d’une certaine façon, l’invention d’un révisionnisme pour les nuls : dis-moi qui t’excite et je te dirai qui tu es. Et par conséquent, qui tu peux aimer ou haïr.

Cela signifie qu’hétéro, on peut être quelqu’un de bien ou le dernier des salauds. Mais que, homo, on est forcément quelqu’un de bien. Pour les bi, y aurait-il débat ? Qui le trancherait ?

Heureusement, dans la vraie vie, les choses sont bien plus subtiles et nuancées. Les professeurs et les manuels aussi. La réalité, c’est que parfois, la sexualité éclaire un parcours. Que parfois, elle l’assombrit. Et que souvent, elle n’en dit rien du tout. Tout esprit de système –et le prosélytisme en est une manifestation détestable mais très en vogue- est donc à bannir du système éducatif français, qui n’a pas besoin de cet énième mauvais coup.

Najat Vallaud-Belkacem pourrait simplement clore cette polémique inutile et reconnaître, comme le Premier ministre - qui a annoncé ce matin une censure de la loi sur le logement social alors même que les Sages du Conseil constitutionnel n’avaient pas encore statué- qu’elle est allée trop vite en besogne. Passer à autre chose et accepter de bonne grâce, avec Niels Bohr, que "le contraire d'une vérité banale, c'est une erreur stupide".

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