Mourad Fares
Selfie tiré du compte Facebook de Mourad Fares actuellement fermé

Mourad Fares : le djihadiste lyonnais arrêté

Mourad Fares, djihadiste français parti en Syrie, a été arrêté en août et extradé vers la France dans la nuit de mercredi 10 à jeudi 11 septembre. Ce Lyonnais originaire de Thonon-les-Bains était l’un des recruteurs des candidats au djihad. Dès juin dernier, Lyon Capitale décrivait ses agissements au sein d’une vaste filière syrienne.

Arrêté le 16 août en Turquie, Mourad Fares est soupçonné d'être un recruteur pour le djihad en Syrie. Il a été mis en examen ce jeudi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur, parle d'un individu "particulièrement dangereux".

L'homme, qui a fait ses études à Lyon et est originaire de Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie, était en Syrie "sur le théâtre des opérations depuis juillet 2013 jusqu'en août". Il faisait partie du mouvement djihadiste du Front al-Nosra, affilié à Al-Qaïda, selon une source proche du dossier. En juin dernier (Lyon Capitale 734), Slim Mazni avait réalisé une enquête au sujet de ces Lyonnais partis faire le djihad en Syrie et dressait le portrait de cet homme. Nous vous livrons son texte ci-dessous en intégralité.

Lyon, plaque tournante du djihad

Selon les chiffres officiels, plus de 700 Français ont pris la route du djihad vers la Syrie. Notre enquête met au jour le rôle de Lyonnais dans la constitution d’une vaste filière syrienne au niveau européen, qui inquiète les services de contre-espionnage de la planète.

Sur son profil Facebook, Selim affiche ses préférences : une affiche de Scarface, une autre de La Haine, le film culte de Mathieu Kassowitz. Il y a aussi un “like” pour le film Ma 6-T va cracker et encore un pour le rappeur américain Tupac. À 19 ans, Selim placarde ses goûts culturels sur les réseaux sociaux comme des milliers d’autres jeunes de sa génération. Sur son mur, il blague, parle du lycée, enrage contre les grèves du réseau de transport de sa ville. Banal. Mais la vie de Selim n’a plus rien d’ordinaire aujourd’hui. Depuis un an environ, Selim (Abou Omar de son nom de guerre) est un moudjahidin, parti combattre au djihad les troupes de Bachar al-Assad en Syrie. Il a quitté Roubaix et la France avec Abou al-Hassan, un Lyonnais devenu en un an la bête noire des services de renseignement français et européens.

Abou al-Hassan, de son vrai nom Mourad Fares, est l’un des soldats-recruteurs des candidats au djihad les plus actifs du continent européen. En se faisant le prosélyte du djihad sur les réseaux sociaux, le Lyonnais Abou al-Hassan aurait incité des dizaines de Français, mais aussi des Suisses et des Belges, à aller combattre en Syrie. Originaire de Roubaix, dans la banlieue de Lille, Selim se trouve aujourd’hui à Alep dans le nord de la Syrie, combattant pour la katiba (la brigade) Al-Khattab. Cette brigade de combattants commence à faire parler d’elle et à agiter les radars des services antiterroristes de la planète.

Projet d’attentat en Tunisie

En avril dernier, un juge de Tunis a ordonné un mandat de dépôt pour huit membres de la katiba Al-Khattab qui étaient rentrés de Syrie avec le projet de perpétrer plusieurs attentats à la bombe dans la ville de Sfax, dans l’Est tunisien. Au beau milieu d’une nuit, nous avons pu discuter avec Selim à travers les réseaux sociaux. Il nous apprend que sa katiba a rejoint les rangs de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), un groupusculeautrefois appelé “Al-Qaïda en Irak” mais qui s’est libéré de la tutelle de l’organisation d’Oussama Ben Laden.

Selim nous explique la marche à suivre pour aller combattre en Syrie : “Billet d’avion jusqu’à Istanbul. Tu vas jusqu’à la frontière et il te fait passer. Je te fournis le numéro d’un passeur si tu passes par l’État islamique en Irak et au Levant. Sinon, je peux pas t’aider pour l’autre côté.” L’autre côté ? Ce sont des organisations concurrentes de l’EIIL, en l’occurrence le Front al-Nosra, qui se revendique toujours d’Al-Qaïda. Depuis Alep et en tchat sur Facebook, Selim détaille sa rencontre avec Abou al-Hassan : “Je suis venu avec lui, on a fait la hijra ensemble. Mdr (sic).” Méfiant, il passe cependant assez vite sur les circonstances de leur rencontre : “Vite fait, je l’avais vu quelques fois avant de faire la hijra.” On apprend tout juste que les deux djihadistes sont partis de Belgique pour accomplir leur hijra – l’émigration des musulmans d’une terre de mécréance vers une terre d’islam. Le terme est dérivé de l’Hégire, qui désigne le départ des premiers compagnons de Mahomet de la Mecque pour Médine, épisode qui marque le début du calendrier musulman. Que Selim dise avoir quitté la France avec Abou al-Hassan confirme le rôle sérieux donné par les services secrets français à ce Lyonnais dans la constitution de filières syriennes.

Recrutement

Mourad Fares serait aujourd’hui dans la région d’Alep. Son compte Facebook a été désactivé. Le Lyonnais serait à l’origine du départ vers la Syrie des deux adolescents de Toulouse, Yacine (15 ans) et Ayoub (16 ans), mis en examen pour terrorisme dès leur retour en janvier dernier. D’ailleurs, Ayoub le Toulousain et Selim, notre contact djihadiste, entretiennent des échanges assez vifs par Internet, attestant que tous deux se connaissent bien et étaient en relation en Syrie. Ainsi, ce message du 1er juin de Selim à Ayoub : “Tu m’as toi-même avoué que tu étais venu en Syrie parce que tu croyais que tu allais aller en prison. Allez, petit, sans rancune. Qu’Allah te guide et te pardonne, parce que c’est grave de fuir le combat.”

Mourad Fares aurait également permis l’acheminement du groupe des sept Strasbourgeois interpellés en mai dernier dans un quartier populaire de la capitale alsacienne et mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Deux ressortissants suisses sont aussi passés par Abou al-Hassan pour rejoindre la Syrie, de même que Brahim, un jeune mineur de 17 ans qui a quitté Mantes-la-Jolie, en région parisienne, à la fin de l’année 2013. Abou al-Hassan est également impliqué dans le départ du père de la petite Assia, une fillette de 2 ans enlevée à sa mère par son père parti accomplir le djihad.

Message pour attaquer les Juifs

Nous avons identifié un autre Lyonnais, originaire de Vaulx-en-Velin, présent lui aussi dans le nord de la Syrie, du côté d’Alep. Il s’agit d’Abou Bakr Muhajir, dont le compte Facebook est toujours actif. Le 25 avril, ce Lyonnais, connu seulement par son nom de guerre, publie le message suivant sur les réseaux sociaux : “Je fais un appel général à tous les musulmans vivant en France qui ne veulent pas faire hijra ou le djihad (...) mais qui veulent faire quelque chose pour la Oumma [communauté, NdlR] : je vous demande de prendre exemple sur notre frère Mohamed Merah, qu’Allah l’accepte dans les plus hauts degrés du Firdaws [le Paradis], et je vous demande de vous attaquer à tous les juifs de France où qu’ils soient, de les tuer, de les traumatiser, de les terroriser et les exterminer jusqu’à ce qu’ils arrêtent le massacre de nos frères en Palestine et arrêtent la destruction de la mosquée al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam ! Agissez seuls ou à plusieurs, ouvertement ou en cachette...” Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces propos ouvertement antisémites et haineux n’ont jamais été censurés par Facebook et n’ont jamais non plus fait l’objet d’une quelconque modération.

Un mois après ce post, le samedi 24 mai, Mehdi Nemmouche, lui aussi originaire de Roubaix, est soupçonné d’avoir assassiné quatre personnes au musée juif de Bruxelles. Il a été arrêté à Marseille une semaine après la tuerie, à l’occasion d’un contrôle inopiné. L’antiterrorisme européen revit les mêmes écueils qu’avec Mohamed Merah, autrement dit la grande difficulté à surveiller des loups solitaires.

Nom de guerre

Mehdi Nemmouche a suivi l’itinéraire du djihad en Syrie en rejoignant l’État islamique en Irak et au Levant, l’organisation dans laquelle est impliqué Selim, notre interlocuteur. Ce dernier dévoilera d’ailleurs le nom de guerre de Mehdi Nemmouche : Abou Omar al-Firansi. Prudent, Selim restera évasif sur ses liens avec Nemmouche mais, dans un message, dira l’avoir croisé dans le groupe des Français recrutés par Abou al-Hassan le Lyonnais.

Mourad, alias Abou al-Hassan, n’est actuellement affilié ni à l’EIIL ni au Front al-Nosra, les deux organisations rivales du djihad en Syrie. Tout comme le second Lyonnais Abou Bakr Muhajir, qui nous avoue “ne plus savoir quel groupe rejoindre”. Après un échange sur les réseaux sociaux avec Abou Bakr Muhajir, celui-ci nous apprend qu’il est en compagnie d’Abou al-Hassan. Les deux Lyonnais sont donc ensemble. Le dernier conseil que nous a adressé Abou Bakr : “Pour passer, le plus simple c’est l’avion, pas au départ de France, ni de Belgique, mais plutôt Allemagne, Suisse, Espagne ou Italie direction Istanbul. Puis, vol intérieur direction Antakia [Antioche] ou bus ou auto-stop comme tu peux. La frontière c’est à Rayhanli. Là, on te donnera le numéro d’un passeur qui te fera passer la frontière.” Le recrutement au djihad continue. Forgé, en partie, par des Lyonnais.

Lyon Capitale-le mensuel n°734 (juin 2014)

–> Page 2 : Mourad Fares, 3 noms pour un même Lyonnais

Mourad Hadji, Abou al-Hassan, Mourad Fares : trois noms pour un même Lyonnais

Abou al-Hassan, Mourad Hadji et Mourad Fares sont un seul et même individu. Après les arrestations de plusieurs djihadistes revenus de Syrie à Strasbourg, les services de renseignement ont livré le nom de leur recruteur : Mourad Fares, un Lyonnais de 29 ans originaire de Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie. En Syrie, son nom de guerre est Abou al-Hassan. Jusqu’aux arrestations de Strasbourg, il était désigné comme étant Mourad Hadji.

La Direction générale de la sécurité intérieure a probablement cherché à brouiller les pistes pour ne pas attirer l’attention sur le recruteur en chef des djihadistes français ni sur sa famille. Abou al-Hassan a frayé avec le groupe d’Omar Diaby, un Franco-Sénégalais originaire de Nice qui a dirigé la katiba (brigade) des Français en Syrie. Diaby n’est pas inconnu des services de renseignement.

Interpellé en décembre 2011 par la DCRI, l’homme aurait été en contact avec Mohamed Merah et aurait fait partie du groupe radical Forsane Alizza (les Cavaliers de la Fierté), dissous en 2012 par Claude Guéant. Certaines informations font état d’une transmission par Diaby du commandement de la katiba des Français à Abou al-Hassan. Mais, aujourd’hui, Abou al-Hassan semble ne plus appartenir à aucune des deux organisations islamiques rivales en Syrie : l’État islamique en Irak et au Levant, non affilié à Al-Qaïda, et le Front al-Nosra, affilié à Al-Qaïda. Le groupe d’Omar Diaby reste intégré à la seconde.

Les djihadistes français s’interrogent beaucoup sur laquelle des deux organisations rejoindre. Nul ne sait aujourd’hui où est Abou al-Hassan. Aux dernières nouvelles, obtenues du deuxième Lyonnais, Abou Bakr Muhajir, ils seraient tous deux ensemble quelque part non loin d’Alep.

Lyon Capitale-le mensuel n°734 (juin 2014)

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