The Orphans
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Mariage gay, adoption, PMA… Ne pas avoir de mère

Mariage gay, adoption, PMA, GPA, parentalité… Interpellée par la philosophe Jeanne-Claire Fumet, la psychologue Marie-Catherine Ribeaud lui répond et poursuit le débat.

Oui, retournons la question : « Qu’est-ce qu’avoir une mère, qu’est-ce qu’avoir un père ». En effet, ni Émilienne, ni son frère jumeau (Émile ?!), occupés à grandir et à toutes sortes de choses, ne se posent la question ainsi. Alors, laissons tomber pour un moment nos deux adolescents et allons chez les bébés, et avec eux posons la question sous sa forme négative : « Qu’est-ce que ne pas avoir de mère, qu’est-ce que ne pas avoir de père ».

Pour la première question, nombreux furent, dans les siècles passés, ces enfants sans mère. Jusque dans les années 50, dans les campagnes françaises, trop de femmes mouraient encore en couches. J’ai joué dans mon enfance avec plusieurs de ces enfants sans mère, élevés par la grand-mère ou par la sœur aînée. Les pères travaillaient dans la petite ville voisine, revenaient le dimanche, se remariaient parfois. Les belles-mères ressemblaient à celles des contes, les enfants du premier lit restaient chez les grands-parents, les prenant parfois pour leurs parents et l’entourage ne les contredisait pas. La petite fille de la ville que j’étais avait d’ailleurs pour consigne de taire la vérité, pour ne pas faire de peine à ces orphelins. Françoise Dolto ne parlait pas encore à la radio…

L’histoire était parfois encore plus tragique. Les enfants de l’assistance publique comme on les nommait alors, sans parents pour cause de guerre ou de misère, s’entassaient dans des orphelinats, les familles d’accueil n’étant pas légion avant les années 60. Ils fréquentaient cependant l’école et obtenaient souvent leur certificat d’études : ce qui n’empêchait pas la plupart d’être placés dans des fermes dès l’âge de 14 ans, et d’y subir, surtout les filles, toutes sortes de sévices considérés alors comme inhérents à leur condition.

Certains s’en sortaient, grâce à la résilience, concept développé des années plus tard par le neurologue et psychiatre Boris Cyrulnik : il a raconté dans ses livres comment il survécut à une enfance encore plus traumatique. Comme lui, gardons-nous des raisonnements déterministes, qu’ils soient d’ordre biologique ou psychologique.

Même si je suis tentée d’ajouter un bémol : oui, beaucoup d’enfants peuvent surmonter des évènements dramatiques grâce à des capacités personnelles qui nous étonnent et dont nous nous demandons d’où elles peuvent bien leur venir ; il arrive pourtant que la génération suivante en garde des traces et s’en défendent moins bien : chacun de nous a une histoire mais aussi une préhistoire, transmise par des mots et des non-dits. Ceci mériterait un plus long développement. Pour l’instant, avec Cyrulnik, insistons sur l’importance essentielle des rencontres dans l’histoire des enfants, avec une pensée pour Albert Camus et son hommage à Monsieur Germain, son instituteur.

Albert Camus, comme Sartre et beaucoup d’autres, nous amène à la deuxième question : « Qu’est-ce que ne pas avoir de père ». Commençons par ces deux écrivains du 20è siècle pour évoquer les multiples figures de l’absence de père afin d’éviter, là aussi, les simplifications conséquentes à la vulgarisation psychologique ambiante. Oui, certains s’en sortent avec un père absent, mort ou inconnu, ils deviennent chanteurs, écrivains ou scientifiques, parfois prix Nobel (qu’ils l’acceptent ou le refusent…), il leur arrive même de faire des enfants dont ils s’occupent.

Certains mais pas tous. Là aussi, pour des raisons inhérentes à la complexité de leur histoire personnelle, des filles et des garçons recherchent douloureusement un père, plus exactement une figure de père, et portent longtemps ce manque qui marque leur relation aux autres, amis ou conjoints. Bien sûr cette quête prend des formes multiples, et la souffrance heureusement peut s’estomper avec le temps, les évènements, la vie. Même s’il arrive qu’elle conduise certains jusqu’au seuil de la folie, jusqu’au délire, mystique ou non, substitutif à ce manque vécu par eux comme un trou noir.

Dans ces propos, je n’ai pas perdu de vue les bébés. Bien au contraire, je suis convaincue que ce qui se joue dans les premiers mois laisse des traces indélébiles, même si une réparation des dommages subis reste presque toujours possible. Et là j’en arrive aux questions qui fâchent, surtout ceux qui prennent les questions pour des réponses. Alors, soyons clair, des réponses, je n’en ai pas et je suis d’accord avec J.C. Fumet pour affirmer que, poussés par l’évolution de la société, il nous faudra apprendre à penser autrement.

Mais ce ne sera pas en occultant les interrogations que nous approfondirons le débat comme il mérite de l’être. Alors voilà, j’y viens et préparez vos bâtons.

Celle que je poserai aujourd’hui est celle-ci : pour la question qui nous préoccupe, à savoir, élever un enfant, un couple de femmes et un couple d’hommes, est-ce la même chose ? Fille ou garçon : pour l’instant, je laisse de côté la question du sexe de l’enfant à éduquer, et je ne parle que des tout-petits, disons, avant trois ans. Je pense que lorsque l’enfant parle, les problèmes se posent différemment.

Par exemple, adopter un bébé n’est pas la même chose que l’adoption d’un enfant plus grand. Le bébé construira avec ses nouveaux parents l’essentiel des fondements de sa vie, même si, dès le plus jeune âge, dès la naissance, il a déjà un « passé ». L’enfant plus grand est déjà un interlocuteur, pas toujours commode, car il a des souvenirs, un jugement, une personnalité. Son vécu a une consistance, et pour reprendre le mot de J.C.Fumet, le baluchon qu’il trimballe n’est pas forcément léger.

Et pour cette question aussi, analogue à celle du « parent », évoqué dans mon article précédent (« à propos de la parentalité »), je remarque que couple d’hommes et couple de femmes sont réunis sous le terme d’homoparentalité. Ne s’agit-il pas, ici encore, de gommer la différence des sexes ?

Certes, si on considère l’évolution des rôles parentaux durant ces dernières années dans les couples hétérosexuels, il nous semble avoir fait du chemin. Les papas poules se multiplient, non seulement pour les biberons du milieu de la nuit et le nettoyage des fesses des bébés, mais aussi par leur découverte de nouvelles manières d’être avec les enfants, prenant parfois plaisir à jouer avec eux avant l’âge du foot. Du coup, ils rechignent souvent à occuper la place d’autorité qui était la leur auparavant ; et comme il faut parfois poser des limites aux enfants, celle-ci incombe à des mères pas toujours d’accord pour endosser ce rôle de père fouettard qu’elles n’ont pas sollicité. Surtout, père et mère câlinent aujourd’hui les bébés presque de la même manière, ce qui fait dire qu’après tout, où est la différence : deux papas, deux mamans, plutôt qu’un papa est une maman, quelle importance, tout est question de personnalité, un nouvel équilibre peut être trouvé, et chacun des parents, quel que soit son sexe, est de toute façon différent de l’autre.

Mais la question actuelle n’est pas la comparaison des couples homosexuels et des couples hétérosexuels dans leur relation avec les enfants mais celle des couples d’hommes et de femmes par rapport aux bébés. Est-ce vraiment la même chose ?

Dans la nature la question ne se pose pas vraiment. S’il existe des couples d’oiseaux où mâle et femelle veillent sur leur progéniture, vous aurez du mal à intéresser papa chat aux chatons qu’il a conçu sans faire exprès, alors que maman chatte reste un modèle du genre maternel. Il peut irriter certains de s’en référer à Dame Nature, il n’empêche que nous restons des mammifères et qu’au début de sa vie, le nourrisson est accueilli dans un monde d’odeurs, de bruits et de sensations. Et même si nous refoulons tout cela en grandissant parce que la parole est le propre de notre espèce et prend le pas sur le reste, dès la naissance et même peut-être avant, les contacts de peau, les voix entendues, les odeurs perçues sont les premières images sensorielles qui s’offrent au nouveau-né.

C’est aussi sa première expérience d’une différenciation entre les personnes, peut-être même entre les sexes. Ce n’est pas moi, bien sûr, qui ai inventé ça, mais pour une fois, scientifiques et psychanalystes s’accordent sur ce point : ces perceptions sont beaucoup plus précoces que nous l’imaginions il y a seulement une vingtaine d’années.

Alors que faisons-nous de ces découvertes ? Est-il nécessaire d’en tenir compte ? Place à l’imagination humaine pour inventer de nouvelles formes de relation ! Mais peut-on affirmer qu’il importe peu pour un bébé d’être privé de mère et que deux papas feront aussi bien l’affaire ?

Peut-être à tort, je ne fais pas le parallèle avec deux mamans, parce que j’aurais tendance à penser qu’au début de la vie, ce n’est pas tout à fait la même chose. Est-ce seulement une désuète image d’Épinal qui nous a habitué à cette proximité d’une femme avec son enfant, nous désignant la place de l’homme en retrait de cette relation mère nouveau-né, nécessairement symbiotique au départ ?

Nous n’en n’avons pas fini avec la différence des sexes. Elle ne se réduit évidemment pas à la morphologie, et encore moins aux consternantes définitions des réactionnaires de toute obédience. Mais refouler les questions ne les supprime pas, bien au contraire, et les déplier et les retourner en tout sens comporte des risques mais peut nous permettre de mieux préparer l’avenir en évitant quelques écueils.

Marie-Catherine Ribeaud, psychologue, auteur de "Les enfants des exclus" et "La maternité en milieu sous-prolétaire", publiés chez Stock. Elle est aussi auteur d'un roman, "J'ai serré les poings et les dents", chez l'Harmattan (2013) et d'une nouvelle, "Mariage arrangé", chez JFE.

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