Cahuzac Woerth

La justice se rapproche du compte suisse de Cahuzac

Alors que le dossier Cahuzac est désormais entre les mains de deux magistrats du pôle financier de Paris – Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke – et que nous écrivions le 22 mars sur la piste des labos pharmaceutiques, Paris Match avance aujourd’hui l’hypothèse selon laquelle le présumé compte suisse de l’ex-ministre du Budget aurait été fermé fin 2000, confirmant ainsi les propos tenus dans l’enregistrement mis en ligne par Mediapart, qui date de la même époque. L’hebdo suggère que le compte aurait été transféré vers "Reyl & Cie, un établissement financier en pleine expansion", fondé par Dominique Reyl. Ce dernier n'est autre que le demi-frère du gestionnaire de fortune de Jérôme Cahuzac, Hervé Dreyfus, l'"autre voix" supposée de l’enregistrement.

Hervé Dreyfus, ancien cadre du Crédit commercial de France reconverti dans la gestion de fortunes, aurait noué des relations avec Jérôme Cahuzac dans les années 1990. Il aurait été son conseiller financier à l'époque où le jeune docteur en chirurgie viscérale menait une lucrative activité de conseil auprès de labos pharmaceutiques (Servier, Pfizer), tout en dirigeant avec son épouse, dermatologue, une clinique d'implants capillaires à deux pas des Champs-Élysées à Paris. Hervé Dreyfus se serait chargé quant à lui de rabattre des capitaux français en Suisse "la clientèle française offshore" – au profit de Reyl, avec un système complexe qui permettait de dissimuler l'identité des apporteurs de fonds.

Les comptes masters

Durant des années, Reyl, qui n'était pas encore une banque, a ouvert à son nom dans divers établissements, comme l’Union des banques suisses (UBS), des comptes dits "masters", lesquels permettent de gérer sous une seule identité plusieurs sous-comptes. Dans les livres d'UBS, les noms des vrais détenteurs de capitaux n'apparaissaient jamais. Seul celui de Reyl y figurait. Aujourd’hui, un banquier genevois d’une quarantaine d’années a décidé d’aider les juges français, notamment en leur fournissant de précieuses explications techniques afférentes à ces procédures complexes.

Tribulations bancaires entre 2000 et 2010

D’après Paris Match,le compte qu’aurait détenu Jérôme Cahuzac à l’UBS aurait été clôturé fin 2000, ce qui confirmerait les propos tenus dans l’enregistrement mis en ligne par Mediapart. Il aurait ensuite été confié à une structure plus discrète, jusqu’à son transfert à Singapour, cette fois en 2010. "Associé à Paris chez le courtier américain Raymond James, Hervé Dreyfus a ses entrées chez Reyl à Genève, où il se rend fréquemment et aurait joué, selon un banquier suisse récemment interrogé par les enquêteurs français, le rôle d’apporteur de clientèle, écrivent nos confrères de Match. A la suite de l’UBS, le groupe Reyl, qui a ouvert en 2010 une succursale à Singapour, aurait-il pu abriter un compte de ­Jérôme Cahuzac? Les investigations réclamées par les juges à la Suisse devraient permettre de faire la lumière sur le sujet."

L’exil fiscal en Suisse

Anticipant le retour au pouvoir des socialistes et de leur politique fiscale, d’ailleurs passionnément théorisée et défendue par Jérôme Cahuzac, de nombreux contribuables français se sont exilés, en toute légalité, chez nos voisins suisses. C’est qu’en dépit du rétrécissement comme peau de chagrin du secret bancaire, notamment depuis l’accord signé à Berne le 27 août 2009, la Confédération reste favorable aux patrons en retraite et aux rentiers, ainsi qu’aux gros actionnaires : cela leur permet en effet d’échapper à l’ISF et de négocier sur place un forfait fiscal très avantageux, basé sur le train de vie (à condition toutefois de ne pas travailler). Les entrepreneurs en activité préfèrent ainsi la Belgique, qui ne taxe pas les plus-values (vente d’actions ou de leur start-up). Enfin, si la Grande-Bretagne n’a toujours pas d’impôt sur la fortune, elle exerce de moins en moins d’attraits fiscaux.

Une autre Odyssée

On lira à ce sujet l’excellente enquête de Capital, où l’on apprend comment des centaines de gros contribuables français ont tranquillement organisé leur exil, avec l’appui d’experts rétribués à prix d’or. Des contribuables tels que Christian Picart (fondateur de Buffalo Grill), Denis Dumont (propriétaire de Grand Frais), Alain Dominique Perrin (patron de la Fondation Cartier), Nicolas Puech (principal actionnaire familial d’Hermès) ou encore Paul Dubrule (cofondateur d’Accor) 
dont les impôts en France avaient explosé après son départ du conseil de surveillance du groupe hôtelier. On peut être d’accord ou pas, trouver cela compréhensible ou au contraire immoral, il n’empêche : ces exils ne sont en infraction avec aucune loi connue. Mais, dans le cas des hommes politiques français, ces exils, s’ils sont avérés, sont forcément secrets, sans quoi il leur faudrait justifier des revenus sans commune mesure avec leurs traitements officiels d’élus, revenus qui mettraient de plus en lumière de fâcheux conflits d’intérêts, ainsi qu’une totale absence de déontologie. Mais ça, comme on le dit magnifiquement dans la pub Cartier, c’est une autre Odyssée.

Quand Montgolfier faisait part de ses désillusions

À l’instar du banquier genevois, Éric Woerth pourrait peut-être également aider les deux magistrats du pôle financier, lui qui se vantait avec force publicité, dès 2009, de détenir la liste de milliers d’exilés fiscaux français – ne serait-ce que pour disculper Jérôme Cahuzac, pour lequel il s’est pris d’amitié, à l’instar d’une grande partie de l’UMP. Rappelons qu’au même moment, en cette année 2009, l'ex-procureur Éric de Montgolfier, auditionné par la commission d'enquête du Sénat sur l'évasion fiscale, n'avait pas hésité, lui, à faire part de ses "désillusions" quant au traitement de ce dossier. Ainsi, il avait relaté que la ministre de la Justice – à l'époque, Michèle Alliot-Marie – avait failli céder aux pressions de la Suisse qui exigeait de se faire restituer la liste des exilés (des fichiers informatiques), sans qu'aucune suite soit donnée. "J'avais reçu du ministère l'ordre de les rendre aux Helvètes, puis, le lendemain, un article fort opportun sur les fichiers HSBC est paru dans Le Canard enchaîné – dont je tiens à dire que je n'étais pas l'instigateur – et, dans l'après-midi, un ordre contraire est arrivé du ministère, disant qu'on pouvait garder et exploiter ces données." Encore un coup des journalistes et de leurs méthodes fascistes.

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