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Cité de la gastronomie : "Collomb n’en avait ni besoin, ni envie"

La Cité de la gastronomie n’est pas lyonnaise. Si la nouvelle a déçu beaucoup de Lyonnais, elle n’a surpris aucun acteur du dossier. Entre retard à l’allumage, manque d’ambition politique et approximations dans le projet, l’échec semblait inévitable. Chronique d’un fiasco annoncé.

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© tim douet

Lyon ne fait pas partie des villes sélectionnées pour établir le socle du réseau des Cités de la gastronomie. Elle pourrait toutefois occuper un strapontin. Une place loin d’être à la hauteur des espoirs que de nombreux lyonnais avaient portés, sûrs de voir triompher la ville du manger gras et du boire sec. Lyon aurait-elle démérité ? Le projet était-il mauvais ? "Si la mise à l'écart de Lyon peut sembler curieuse, cette éviction est due au fait que la ville n'a pas assez pris au sérieux ce dossier", affirmait Jean-Robert Pitte, président de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires, dans un entretien accordé à l’Express.fr le 11 janvier dernier.

Rien ne sert de courir, il faut partir à point

"Lyon partait déjà avec le handicap de son retard à l’allumage", rapporte un expert des dossiers à Lyon Capitale. Lorsque nous écrivions en mai dernier que notre ville "pourrait être candidate" pour accueillir la Cité de la gastronomie, un membre de la (MFPCA) s’étonnait d’avoir déjà sur son bureau les candidatures de Beaune, Dijon et Tours, alors que Lyon "faisait la morte". "Je suis d’autant plus surpris qu’il y a quelques années, un adjoint lyonnais m’avait présenté un projet de musée du goût dans le vieux Lyon", rapporte cette même source.

Il faut dire que Gérard Collomb ne montre alors aucun entrain pour soutenir ce dossier autour duquel il ne fait aucune publicité. Au printemps, rares sont d’ailleurs les élus à connaître jusqu’à l’existence du projet de Cité de la gastronomie, et les quelques initiés qui en ont eu vent tempèrent rapidement. "Collomb n’est pas chaud sur ce dossier. Et s’il y va, ce sera sans tambours ni trompettes", affirme un de ses proches. Des propos que confirmait alors un de ces adjoints : "À chaque fois que nous avons été candidats à des dossiers internationaux, nous n’avons pas été choisis car à Paris on estime que nous n’avons pas besoin de ces évènements pour faire vivre l’économie locale". Craignant de revivre l’épisode "capitale européenne de la culture", la Ville de Lyon faisait exprès, selon lui, de ne pas médiatiser sa candidature, pour éviter que l’échec ne soit à la même hauteur.

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La candidature lyonnaise retirée ?

Mais en coulisses Jean-Michel Daclin, Christian Têtedoie et plusieurs autres, croient en les chances lyonnaises et s’activent. "Ils ont certainement été déçus de ne pas être particulièrement soutenus", rapporte un des proches du maire. Gérard Collomb affirme aux quelques personnes qui l’interrogent ne pas être en capacités de financer un tel projet.

À Paris, les atermoiements du maire sèment le doute et l’ébauche de la Cité lyonnaise ne convainc pas vraiment. "Le projet porté par Lyon nous apparaissait un peu flou. Et pour paraphraser ‘une des amies du maire’, quand c’est flou c’est qu’il y a un loup", ironise un des membres de la MFPCA. "À la même période, le maire de Versailles commençait également à envisager de privilégier des projets plus locaux, faute de financements. La ville allait retirer sa candidature. Certains à la commission ont pensé l’espace d’un moment que Lyon pourrait faire de même", explique-t-il.

Mais il n’en est rien. La candidature de Lyon, toujours aussi peu soutenue est validée le 16 juillet. Tout l’été, Lyon Capitale publie les projets de toutes les villes candidates, fières de présenter leur projet. Toutes, à l’exception de Lyon. Et pour cause, la mairie ne communique pas sur le sujet et certains acteurs du dossier avouent même que celui-ci n’est "pas totalement bouclé".

Le Sirha plutôt que la Cité ?

Mais la candidature de Lyon s’ébruite et devant l’absence de soutiens politiques, des initiatives citoyennes naissent. La page Facebook de soutien à la candidature lyonnaise fait effet boule de neige et fédère les Lyonnais autour du projet. Mais Gérard Collomb ne se laisse pas emporter par la vague. Même quand les Toques blanches appellent à un rassemblement citoyen devant l’Hôtel de Ville, l’édile boude la manifestation. Il fait même passer la consigne "pas de soutien public au projet".

Officiellement, le maire doute de la viabilité du projet faute de financements. "Aujourd’hui, je n’ai pas trouvé un seul investisseur qui veuille mettre de l’argent dans cette Cité de la gastronomie, car ils pensent qu’il n’y aura pas de retombées suffisantes. Même ceux qui habituellement injectent dans ce secteur spécifique préfèrent se tourner vers le Sirha. Il est vrai que les retombées sur ce salon international qui accueille un nombre considérable d’étoiles sont importantes. Si vous êtes plus habile que moi et que vous trouvez des investisseurs, venez me le faire savoir." Au Grand Lyon, il refuse même de faire voter un vœu en faveur de la Cité de la gastronomie.

"Gérard Collomb n’a jamais vraiment eu ni besoin, ni envie, de la Cité de la gastronomie. Le Sirha c’est déjà une Cité de la gastronomie 4* : des investisseurs privés et des retombées économiques locales avec une prise de risque minimum pour ne pas dire inexistante. Alors investir des millions pour des bénéfices loin d’être garantis…", commente un élu régional de la majorité. La Région boudera d'ailleurs le dossier du départ, regrettant que les AOC de Rhône-Alpes qui font sa fierté ne soient pas associés au projet.

Volte-face

L’opposition municipale, qui commence à se mobiliser en vue des échéances de 2014, voit dans la Cité de la gastronomie "chère aux Lyonnais", un bon angle pour lancer la charge. "Le maire de Lyon n’a pas engagé toutes ses forces pour ramener cette Cité à Lyon. Gérard Collomb ne croit plus en sa ville. Et quand un maire ne croit plus en sa ville, c’est le bon moment pour changer de maire", avait attaqué Michel Havard dès la soirée de lancement de sa candidature.

Mais à la surprise générale, un mois tout juste avant la présentation du projet à la Commission, Gérard Collomb retourne sa veste et se pose en ferveur défenseur de la Cité de la gastronomie. Interrogé par Lyon Capitale sur ce brusque retournement de situation, le maire récuse le terme : "C’est vous qui parlez de retournement de situation. Simplement, nous étions dans une discussion avec le groupe Eiffage. Au début, ils auraient souhaité que ce soit la collectivité qui finance la totalité du projet [soit 18 millions d’euros pour 3 500 m² à l’Hôtel-Dieu, Ndlr]. Et je vais être franc avec vous, j’ai refusé catégoriquement. Il est hors de question de faire n’importe quoi avec les finances de la ville. Ce n’est pas possible de mettre une telle somme sur la table. Là, nous avons trouvé un bon deal : deux tiers pour Eiffage, un tiers pour nous. Un partenariat équilibré entre le public et le privé qui permet à chacun de s’y retrouver".

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Le chef Collomb

Dès lors, Gérard Collomb se lance dans la bataille non sans zèle. "La gastronomie c’est un des piliers de la culture lyonnaise. Ne rien faire pour accueillir la Cité de la gastronomie aurait pu lui couter cher. Qu’importe de l’avoir ou pas, l’important c’est de montrer qu’on est mobilisés sur le dossier", glisse à l’époque un membre de son équipe.

En une semaine à peine, le maire de Lyon met ses services en branle et convoque la presse pour une présentation du projet lyonnais. Il réunit à l’Hôtel-de-Ville tout ce que Lyon fait de mieux en matière de gastronomie, Paul Bocuse en tête. Le volet financier, point noir du dossier la veille, devient subitement la pièce maîtresse de Lyon selon Gérard Collomb. "Sans vouloir faire de mauvaise publicité à certaines autres villes candidates, le projet lyonnais, contrairement à celui d’autres candidats, est d’ores et déjà financé et peut être mis en œuvre à court terme", nargue-t-il.

Sur les 18 millions d’euros du projet, la Ville prend en charge l’intégralité des frais d’aménagement (3 millions d’euros). Elle apporte également, à parts égales avec Eiffage, la moitié de l’investissement immobilier, estimé à 15 millions. L’autre moitié sera financée par des partenaires amenés par Eiffage. Des partenaires dont Bernard Vitiello, le directeur d’Eiffage préfère taire les noms précisant simplement qu’il s’agit de "contacts très intéressés avec des retours très positifs sur le projet". Auparavant frileux, Gérard Collomb se montre soudainement très confiant, expliquant que "de toute façon, il n’y a pas de plan B".

Une Cité trop marchande

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Mais le plan A ne convainc pas la Commission qui juge que le financement n’est pas totalement bouclé. Et la ville a également fait fausse-route sur le fond. "Lyon est passée à côté. Avec sa candidature qui associe nutrition et santé, on est loin du repas gastronomique des Français", précise un membre de la MFPCA. "Il est clair que Lyon a essayé de jouer sur tous les tableaux en même temps, en intégrant les collections des Hospices civils de Lyon dans son projet". Gastronomie, santé, .. et commerce aussi. "Des interrogations persistent quant à la cohérence des différentes activités sur l’ensemble du site notamment en ce qui concerne le ratio activité pédagogiques, et espaces marchands", note la commission. En clair, le projet paraissait trop commercial. La commission s’est refusée à labelliser 3500 m² de l’Hôtel-Dieu en "Cité de la gastronomie". Une surface trop faible au regard des 54 000m² du site. La commission a craint que l’attrait de la Cité de la gastronomie ne serve des activités commerciales totalement indépendantes et pas forcément en rapport avec le projet. "Nous ne pouvons pas cautionner un projet servant surtout les intérêts d’un opérateur privé", rapporte le même membre de la commission.

"Il n’y a jamais eu d’engouement de la commission pour notre Cité, nous l’avons su assez rapidement", rapporte un acteur du dossier lyonnais. "Gérard Collomb a tenté d’intervenir pour que la décision de la commission soit retardée au maximum. Il s’est lancé dans une bataille de baronnets avec François Rebsamen, il a montré les muscles pour gagner du temps mais il savait depuis longtemps que son dossier était un peu léger", commente un haut fonctionnaire qui a suivi le dossier depuis le début.

Qui perd gagne

Certains, dans l’entourage de Gérard Collomb, voient cette défaite comme un point positif. "Collomb va pouvoir mener un projet de Cité de la gastronomie seul, détachés des prises de décision parisianistes. Son image d’élu local, loin du sérail n’en sera que renforcée". Effectivement le maire de Lyon semble aborder ce tournant. "On va continuer avec Eiffage et le public international jugera qui est la vraie capitale de la gastronomie", a-t-il plastronné au Grand Lyon, rappelant même que Lyon avait candidaté en vain au titre de capitale européenne de la culture, que Marseille lui a chipé. A cette époque, a-t-il affirmé, ce titre devait servir de booster à la Confluence, alors "en friches". Finalement, la Cité des Gaules avait perdu, mais avait très bien réussi à développer toute seule son nouveau quartier. Comprendre : il en ira de même avec l'Hôtel-Dieu, même sans le titre convoité. Lyon avait postulé pour une Cité de la Gastronomie, elle va devoir apprendre maintenant à accommoder les restes.

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