Casseurs ? Guérilla urbaine ? Des paroles pour tenter de comprendre

Cela fait cinq jours que Lyon connaît, dans son centre-ville, dégradations, incendies de mobiliers urbains, véhicules brûlés et affrontements avec la police. Depuis mardi, jour de mobilisation sur les retraites, la tension est montée d’un cran, notamment par le nombre de personnes impliquées dans ces violences. Lyon Capitale a donné la parole aux acteurs de ce mardi.

1) Des manifestants jugent les violences

Avec 45 000 personnes (18 000 selon la police), la sixième journée de mobilisation sur les retraites a été un succès à Lyon aussi. Mais arrivés place Bellecour, les manifestants se sont retrouvés confrontés aux violences. Nicolas, salarié Renault Trucks (il s'est positionné devant les CRS et a montré ses fesses) : “C'est de la provoc'. Mais je suis également contre tous les débordements commis par les jeunes. C'est un truc que je ne revendique pas. Cela va profiter plus au gouvernement, aux médias plutôt qu'à tous les gens qui perdent des heures de travail”. Guillaume Cardinal, délégué syndical SUD chez IKEA : “Je ne suis pas très solidaire avec ce que font les jeunes actuellement. Détruire des vitrines, cela ne me semble pas être la bonne solution aujourd'hui”.

2) Les lycéens condamnent ou soutiennent les violences

Tous les actes de violence partent des manifs sauvages lycéennes qui sillonnent, par des cortèges plus ou moins décousus, le centre-ville de Lyon depuis jeudi dernier. Deshors et Godard, lycéens à Dardilly : “On est venus ici pour manifester mais vu qu'il y a eu des casseurs on ne peut pas. Il y a des projectiles qui volent de partout et on n’a pas envie de prendre quelque chose sur la tête. Cet après-midi, on est obligés de retourner en cours parce qu'on a déjà loupé la matinée et on se fait exclure si on est pas là toute la journée”. Karim et Mélissa, lycéens à Gerland : “On est venu manifester dans le calme, pas pour casser. Là c'est abusé, c'est des violences urbaines". Olivier du lycée Blaise Pascal à Tassin : “Ceux qui jettent des cailloux, ce ne sont pas des lycéens, ce sont des gens extérieurs”.

Un élève du lycée général Marcel Sembat à Venissieux : “Toute la casse de ce matin est légitime. C'est pour revendiquer une autre réforme. Ils ne comprennent pas avec des mots, il faut des actes”. Mohamed, du lycée Georges Lamarque à Rillieux : “casser et manifester sont importants. Dans les manifestations normales, on n'est pas assez écoutés. On ne nous prend pas au sérieux. Parfois, il faut casser même si ce n'est pas tout le temps le cas. C'est malheureux mais c'est avec des actions comme celle là qu'on se fera entendre. Nous, on a des revendications : supprimer le bouclier fiscal d'une part et ne pas changer l'âge de départ à la retraite. Sarkozy, il ne nous connaît pas, il ne s'intéresse pas à nous, il touche 15 000 euros par mois alors que nos parents galèrent toute leur vie !”

3) Ceux qui assument “être casseur”

Les journalistes, les syndicalistes, les lycéens, les politiques, les responsables de la sécurité publique, tout le monde les appellent les "casseurs". Ceux que nous avons rencontrés sont lycéens et assument la qualification de “casseurs”. Ilyes, du lycée Cuzin de Caluire : “On fait partie des casseurs. On a jeté quelques trucs mais on a surtout suivi la foule. On ne nous écoute pas quand on agit normalement, il faut passer au niveau au-dessus. On a que ça pour se faire entendre. Apparemment, avec toutes les manifestations qui ont été faites, ça n'a rien donné et sa réforme il ne l'a pas enlevée. On est là pour là pour protester contre la réforme des retraites et plus généralement contre le pouvoir représenté par Sarkozy”.

Souleymane, 15 ans, du lycée professionnel Flessel à Lyon : “On a la haine de la police. A Rillieux, ils nous provoquent sans cesse et nous collent en garde à vue. Bien sûr, on est contre la réforme des retraites mais on en profite aussi. Pour sécher les cours mais pas seulement. Il faut qu’ils comprennent que les jeunes ont leur mot à dire. Et manifester ne sert à rien. Il faut passer à autre chose. Si on continue à casser, ils en auront marre et nous écouteront”.

4) Les profs parlent des “gamins des quartiers”

Souvent accusés d’avoir “envoyé les lycéens dans la rue”, les enseignants mobilisés contre la réforme des retraites essayent aussi de mettre des mots sur les comportements violents de ces derniers jours. Denis, prof à Vaulx-en-Velin : “Il y a quelques centaines de jeunes sur les deux à trois milles lycéens qui ont la haine. Ce sont des gamins des quartiers. Ceux que l’on voit aujourd’hui, ce sont des scènes d’émeute qui rappellent les banlieues. Des gamins humiliés depuis des années qui se révoltent. C’est la misère qui arrive en centre-ville”. Stéphane, prof à Saint-Priest : “Pour la majorité d’entre eux, ce sont des élèves qui végètent dans des lycées professionnels parce qu’ils subissent une orientation. Aujourd’hui, on voit le grand défouloir contre la société”.

5) Les manifestants sur l’attitude de la police place Bellecour

De nombreuses personnes arrivées place Bellecour avec le cortège remettent en question l’attitude de la police, accusée de faire de la provocation. C’est ce qui explique, pour une part, que plusieurs centaines de personnes soient restées pour faire face aux forces de l’ordre. Anthony, employé CGT de la ville de Vaulx-en-Velin, en grève : “il y a quelques jets de pierre mais tout de suite les gendarmes mobiles répliquent avec des grenades lacrymogènes. Forcément, ça excite les autres et c’est l’engrenage”.

Jeff Ariagno, élu (PS) à Vénissieux : “Face à des attroupements place Bellecour, la police n’a pas d’autres réponses qu’une violence globale. C’est une minorité qui caillasse. La police pourrait les extraire. Au lieu de ça, ils gazent tout le monde”. Un manifestant du cortège CNT : “Nous faisions partie des derniers à entrer sur la place quand les gendarmes mobiles ont lancé des lacrymo. Il ne se passait rien. Ils ont lancé sans raison. C’est à partir de ce moment-là que ça a dégénéré”.

Cyril, étudiant à Sciences-Po, militant chez les Verts. Il fait partie de la soixantaine de personnes à avoir fait un sit-in face aux gendarmes : “S’ils avaient voulu, ils auraient pu nous pousser dehors. Mais ils ont préféré nous envoyer des lacrymo plein la gueule. On s’est assis pour montrer qu’on peut exprimer notre mécontentement autrement que par la violence, même si on comprend la rage des casseurs”.

6) Des manifestants dénoncent des arrestations par de faux-cégétistes

Plusieurs manifestants nous ont rapporté la scène suivante racontée par Lucie, une manifestante présente sur la place Bellecour vers 13h : “Une dizaine de policiers en civil qui portaient des autocollants de la CGT ont arrêté des manifestants, vers la librairie Privat. Ils ont pu stocker ces manifestants dans l’entrée d’un immeuble, au numéro 19. Pendant leur manège, des pompiers syndiqués à la CGT les ont vus et leur ont arraché les autocollants tandis qu’un attroupement se formait. Quelques minutes plus tard, les policiers en civil aidés par les CRS ont fait une sortie, poursuivis par des manifestants”. C’est ce qui a contribué, selon elle, a échauffer les esprits place Bellecour. Interrogé sur l’utilisation d’autocollants CGT par des policiers en civil, le directeur départemental de la sécurité publique, Albert Doutre parle de “mythomanie”.

8) Les représentants des forces de l’ordre dénoncent les “voyous”

En fin de journée, le préfet Jacques Gérault a organisé une conférence de presse exceptionnelle. Outre le bilan chiffré et la promesse de déployer davantage de forces de l’ordre dans les prochains jours (700 hommes au lieu de 500 ce mardi), il a parlé de ceux qui commettent des violences. Jacques Gérault : “Il y a une quinzaine de lycées de l’agglomération qui concentre les regroupements le matin. Des jeunes auxquels s’agrègent des casseurs. Des voyous qui viennent des banlieues, qui sont répertoriés comme délinquants et qui en profitent pour saccager et vandaliser des commerces”. Albert Doutre, directeur départemental de la sécurité publique : “ce sont des phénomènes de guérilla urbaine avec ses casses de vitrines et ses pillages en coupe réglée par des groupes de 15 à 20 jeunes. La moitié des personnes interpellées sont des mineurs."

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